Cette année, la célébration du Mystère pascal est plus importante que jamais. Les événements mondiaux nous poussent à nous réveiller, à mieux considérer le sens de notre existence et à mieux saisir le don que la foi nous apporte. Être victorieux non seulement au milieu des épreuves, mais grâce aux épreuves. Toutefois pour cela il nous faut scruter la Pâque et sa pertinence radicale pour nos vies. « Dieu ou rien » n’a écrit le cardinal Sarah. En le paraphrasant je dirais : « Pâques ou rien »
Face à ce qui se passe, on voit mieux la futilité de ce qui semblait être le sens de notre culture jusqu’ici. Je perçois aussi, jusqu’où notre « religion » (notre vécu religieux) s’est adaptée à cette culture libéro-mondialiste. Une religion qui à force de vouloir « évangéliser » répond plus aux besoins du « soi-même », qu’à la libération de la Personne en inoculant le « Divin en elle ». La Vérité qui libère (Jn 8,32) ne se trouve que dans le mystère pascal de Jésus Christ réellement apprivoisé et réellement vécu. On ne peut pas se dérober à l’anéantissement dans la mort si on veut commencer une vie nouvelle dans la résurrection, et dépasser divinement la peur de la mort, pour offrir au monde la vraie réponse dont il a besoin. Elle n’est pas dans le « soi-même », mais dans le « Dieu jusqu’au bout de la chair ».
L’Eglise elle-même, et nous en tant que ses membres, ne sommes pas toujours épargnés de la tentation de mettre notre « moi » au centre de nos choix. Sans à peine nous rendre compte, nous devenons parfois des « ennemis de la Croix du Christ », comme saint Paul avertit. Un personnalisme « bon marché » influence ainsi certaines décisions ecclésiales dans le sens de chercher une adaptation à la « pensée unique », et cela sur la pastorale de la sexualité, sur une fraternité troquée en solidarité horizontale, sur l’éducation chrétienne devenue un simple « vernis », et sur une vision de la théologie, la réduisant à une anthropologie sans Dieu. Nous ne sortirons pas de cette crise que si nous expérimentons un revirement radical dans notre vie. La confluence entre un « libéro mondialisme » et les « adaptations doctrinales à la religion pseudo-humaniste » ne sera surmontée que par un réveil radical au mystère du Christ crucifié (Hb 12,1-4).
Seule la pratique, prise radicalement au sérieux, des conseils évangéliques permet de vivre en profondeur les deux dimensions de la Pâque : l’anéantissement en nous de ce qui appartient au péché et de ses conséquences, et la possibilité de renaître chaque jour à un bien plus profond, caché dans l’âme humaine. Passer du « soi-même » au Christ sans arrangements, sans « aggiornamento ». De ces deux dimensions dérive le fruit de notre participation à la Rédemption : l’accueil vrai de l’action de l’Esprit, véritable auteur de toute sainteté. C’est cet Esprit qui creuse en nous un ample espace pour la « création nouvelle », qui se manifeste dans notre « Je » quand il regarde le Christ et non lui-même. Ce « Je avec le Christ », se manifeste, également, dans les dimensions interpersonnelles et sociales, et dans le monde créé par Dieu (écologie intégrale). Mais seulement si notre « Je » est vraiment pascal. Le chantier ne fait que commencer !
Saint Paul dit du Fils que, « de condition divine... il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes ». L’anéantissement impliqué par la pratique de la pauvreté, la chasteté et l’obéissance évangéliques n’est plus audible dans le monde et malheureusement aussi dans certains secteurs de l’Eglise. C’est pourtant le sens même du Triduum Pascal. Aurons-nous les yeux lavés pour voir clair ? Le Maître de Nazareth désigne explicitement la croix comme condition pour marcher à sa suite. « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne chaque jour sa croix et qu’il me suive » Mt 16,24 (c’est-à-dire qu’il marche sur ses traces). Il le disait à tous ceux qui l’écoutaient, et pas seulement à ses disciples. La loi du renoncement appartient donc à l’essence même de ce Je qui vit « les sentiments du Christ Jésus ». Cette Pâque résonne comme un appel pressant à commencer à vivre ainsi.
Plus que jamais je perçois que sans prendre à bras le corps le mystère pascal, on n’offrira qu’un opium « religieux » à notre humanité, le pire des maux, comme disait Dante Alighieri : « Au fond des enfers se trouvent ceux qui sont restés médiocres devant les enjeux du moment. Ils avaient l’opportunité du Salut, mais l’ont tellement adapté au poison du monde qu’ils ont empêché ceux qui cherchaient sincèrement une véritable issue à la situation, de la trouver ». Que notre communauté chrétienne dans ce temps de Pâques puisse faire un bond en avant pour offrir vraiment Dieu aux hommes. Le Dieu de Pâques. Qui ne sera pas « espérance de Résurrection » sans la détermination de renoncer « au soi-même » christianisé et mortifère !
Père Paco Esplugues, curé