Programme pastoral - année 2014-2015
« Notre matière est l’Invisible »
Parmi les revendications des intermittents du spectacle cet été à Avignon, j’ai été touché par la phrase finale d’un des manifestes d’artistes diffusé sur France-Info, attrapée au vol : « Une société qui n’a pas de « travailleurs de l’esprit » est morte. Se laisser entraîner seulement par la valeur marchande est une claudication. Nous sommes les « artisans de l’esprit ». Notre matière est l’Invisible ».
La teneur de cette phrase m’a interpellé car au-delà des différentes lectures que nous pouvons en faire (même très divergentes) elle cache une vérité. Elle est porteuse d’un programme qui rejoint l’esprit de notre paroisse. Notre matière est l’Invisible. Comme disait déjà Paul VI en 1976 : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » ; témoins d’un Dieu qu’ils "touchent dans leur chair", dans leurs vies concrètes et dont ils font l’expérience « comme s’ils voyaient l’Invisible ». Notre matière est l’Invisible, dans le sens le plus fort du terme. J’aime la connotation matérielle de cela : Au début de cette année, la première chose à faire serait de fuir un programme qui soit un refuge du monde en nous enfermant dans une espèce de « bulle spiritualiste ». Simone Weil disait déjà en parlant de l’amour de Dieu, qui ne se détourne jamais du monde et des créatures qu’Il aime : « ce n’est pas à la façon dont un homme parle de Dieu que je vois s’il a séjourné dans le feu de l’Amour divin, mais dans la manière dont il me parle des choses humaines ».
Notre monde est traversé par de nombreuses crises dont l’économique n’est qu’un symptôme. Plus que jamais il réclame des hommes présents dans la « chair de la société », qui y soient présents réellement et pas seulement par des "pensées éthérées" car « toute pensée qui ne devient parole est une mauvaise pensée, toute parole qui ne devient acte est une mauvaise parole, tout acte qui ne devient fruit est une mauvaise action » (G.-K. Chesterton). La racine de la crise sociale actuelle vient d’ailleurs de la manière commune de considérer notre phrase du début : « L’Invisible considéré comme une matière que je travaille à mon aise ». Nous sommes habitués à dominer la matière, ceci nous conduisant à des succès notables mais aussi à des dégâts incroyables. Or les conséquences de se placer en tant qu’artisan de l’esprit en cherchant à dominer ou à avoir l’emprise sur l’Invisible de manière aveugle peuvent être terribles. En effet, les effets dévastateurs sur la condition humaine : les dépressions, les maux sociaux, la violence religieuse, et celle que la religion elle-même souffre, pas toujours moindre, n’en sont que les symptômes. « Notre matière est l’Invisible », oui, mais à condition de se laisser éclairer par Sa lumière et non, en la domestiquant ou en la fabriquant par nous-mêmes. « Il ne s’agit pas de posséder la Vérité mais d’être possédés par elle » (Benoît XVI).
Saisis et illuminés par l’Invisible, nos cœurs commencent à découvrir progressivement ce qui se cache derrière chaque réalité. Ce regard renouvelé (Francisco) nous permet de vivre dans notre monde, même dans les choses les plus quotidiennes dans la présence d’un Dieu qui, comme nous avons largement médité cet été dans la retraite à Quézac, nous aide à être bien plus qu’à paraître. Missionnaires, apôtres, témoins, dont la matière est l’Invisible en se laissant modeler par Lui. Collaborer avec Lui dans tous les secteurs de notre vie paroissiale et sociale, voilà notre programme pour cette année 2014-2015. Avec un caractère laïcal explicite, puisqu’il s’agit d’éclairer le monde de l’intérieur et de fuir les « chapeaux extérieurs » qui, à la longue, ne sont que source de violences et de frustrations. Programme de l’année qui commence à se profiler et qui se concrétisera de manière plus explicite dans notre rentrée paroissiale, dimanche 28 septembre. "Artisans de l’esprit", "collaborateurs de l’esprit de Dieu", c’est la grâce la plus grande que le Seigneur pouvait nous donner. Il est urgent dans notre société qu’il y ait de ces travailleurs dont la matière est l’Invisible si nous voulons survivre !
Bonne rentrée à tous !
P. Paco Esplugues, curé
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