Octobre 2022 : « Federer et Nadal, des clés pour vivre la vie chrétienne aujourd’hui ? »

2 octobre 2022

Par le père Paco Esplugues, curé

 

 « Federer et Nadal, des clés pour vivre la vie chrétienne ? »

J’ai appris lors des multiples apparitions médiatiques de Roger Federer en raison de son départ définitif en tant que joueur de tennis professionnel que son amitié avec Raphaël Nadal avait profondément grandi à partir de 2017. Cela m’a touché car à cette époque j’avais fait un Edito sur ces deux grands joueurs. En effet, ils avaient tous les deux souffert de graves lésions l’année précédente et personne ne croyait à leur rebond triomphal. Et pourtant ils l’ont fait. L’un et l’autre. L’édito appelait à ce chemin profondément ancré dans la foi : si l’on reste humble, et si l’on se tourne vers les ressources divines qui nous accompagnent, il se peut que « rejaillisse le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux ». Au-dessous de la boue il y a l’eau pure comme la Dame de Lourdes le rappelait à Bernadette à la grotte de la colline des Espélugues. La pertinence de la démarche de ces 2 hommes me pousse aujourd’hui, 5 ans plus tard, à écrire la suite, qui n’est pas sans relation !

Je suis convaincu qu’il n’est pas si étonnant que la rivalité se soit transformée, en une profonde amitié. Et ce témoignage nous convient profondément pour éclairer notre marche en ces temps post Covid jalonnés d’épreuves et de synodes dans l’église.

Le premier synode, de la Bible, la marche ensemble de Caïn et Abel, la première fraternité, n’a pas bien fini. La rivalité mimétique l’a emporté, comme l’écrivait le philosophe avignonnais René Girard, il y a 50 ans. Chez Nadal et Federer la rivalité sportive a abouti à une amitié qui les a fait pleurer et a fait pleurer beaucoup de monde, lors de leur dernier match à Londres. Cette amitié est beaucoup plus que du sentimental. La pauvreté accueillie permet de découvrir « le plus » qu’il y a en moi, et le plus qu’il y a dans l’autre. Elle lave les yeux ce qui permet de recevoir autrement, le cadeau de l’autre, même si c’est un adversaire. Un synode sans cette approche reste une marche qui risque de se terminer dans le conflictuel, ou dans l’indifférence de l’autre. Signe d’une logique « terre à terre » sans « surnaturel » dans notre marche ensemble.

Leur démarche dégage des chemins vers l’essentiel. Ce n’est pas pareil de marcher ensemble que marcher ensemble fondés sur « l’unique nécessaire ». Et c’est mieux encore lorsque les échecs de la marche nous ouvrent clairement au Dieu qui fait route avec nous, en nous transfigurant.

On voit bien qu’ils ont été capables de traverser leur petit Moi pour entrer dans des voies qui mènent à l’essentiel. On peut parler d’une rivalité non mimétique en reprenant les termes de R. Girard. Entre eux il y a eu sans doute du combat, de la rivalité, des dépassements mais qui ne les ont pas menés, vers la violence, mais vers une communion plus grande. Cette amitié a jailli et est devenue plus grande encore après avoir vécu tous les deux le déclin de leurs forces. Non pas dans la logique de l’échec, comme beaucoup de pessimistes le pensent en église et dans la société, mais en en tirant parti pour découvrir des forces supplémentaires cachées sous les cendres. Témoins que l’eau pure se cache au-dessous de la boue.

La conséquence de cette école va encore plus loin. Tous les deux semblent être des « ouvriers » qui construisent, chez ceux qui leur sont confiés, des « voies parcourables » pour leur croissance. Leur synode a des conséquences à l’œuvre. Ils sont l’instrument d’un « plus » à cultiver chez l’autre La simple lecture des médias montre simplement, qu’il se dégage tant chez l’un que chez l’autre leur investissement pour les nouvelles générations. Federer dit clairement que le moteur de son arrêt est le besoin d’être pleinement responsable de la construction intégrale de ses enfants. La vraie fécondité passe par la capacité de dépasser son petit « moi », dans le service radical de la croissance de l’autre. S’investir silencieusement pour le développement de la personne intégrale de ses enfants plus que pour son propre succès. C’est vrai qu’il a déjà de quoi vivre ... mais son option est un indicateur significatif. Important par exemple comme clé synodale : « désirer non le propre succès (cléricalisme), mais trouver sa joie dans le service humble afin que chaque laïc soit supérieur à soi-même ». Cela passe par un déplacement de valeurs. La raison surprenante de la décision de Federer telle que les médias s’en font écho est de considérer la croissance personnelle de ses enfants au-dessus de son Ego. De quoi faire penser à nos synodes

Un troisième élément se dégage du petit flash des médias : « Créativité fondée sur le travail et la vertu ». La déclaration d’Yvan Ljubicic, le dernier coach de Federer, m’a beaucoup touché. Il disait qu’il n’était jamais répétitif dans le jeu. Le diable est toujours répétitif. La vertu est créative, elle permet de dépasser des schémas battus pour, à partir des traditions reçues, oser exercer des nouveaux modes acquis pour affronter les défis. Ljubicic parle en ces termes : « quand je jouais contre lui, il apportait toujours quelque chose de nouveau sur le terrain et faisait en sorte que vous n’ayez aucune référence dont vous pourriez vous inspirer. Le problème quand on l’affrontait, c’est qu’il jouait un match d’une certaine manière et qu’il se présentait la fois suivante en faisant quelque chose de complètement différent C’est certainement le seul joueur que j’ai affronté qui pouvait jouer de cette façon, et quoi qu’il fasse, c’était d’une très, très grande qualité ». Pour lui Federer ne tombait ni dans le confort répétitif, ni dans le pur goût de la nouveauté, mais jouait avec une capacité continue à prendre des risques adaptés aux nouveaux enjeux, fondés sur la vertueuse assimilation des fondamentaux. « Une très, très grande qualité ».

Nadal et son école de formation de jeunes avec les valeurs de courage et de persévérance, Fédérer valorisant plus la formation de ses enfants, devenu coach même de son propre coach, nous laissent des pistes de réflexion pour le renouvèlement synodal de notre église beaucoup plus riches de ce qu’on pouvait penser au premier regard. Merci aux deux !

Père Paco ESPLUGUES, curé