« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas naviguer »
Au mois de novembre, par des différents
motifs concomitants, la question du temps saute aux yeux. La Toussaint
et les cimetières nous renvoient au passage des proches et des amis,
mais parfois aussi ce temps nous donne des frissons parce qu’avec la
mort des proches, la nôtre est aussi évoquée.
Cela, d’autant plus qu’il se peut qu’il y
ait dans notre corps ou dans celui des proches des signes de maladie :
le cancer de ma sœur, l’accident de mon père, l’hémorragie cérébral
d’une gamine connue ou, encore, la menace terroriste… Du coup, la
question du temps se pose soudainement de manière menaçante.
En ce mois, la question du temps présent
et de sa gestion se pose aussi parfois dans la vie quotidienne. La
rentrée après les vacances est finie et on est en plein dans
« l’ordinaire du travail » et de ses soucis. La question du sens de ce
que nous faisons s’impose à nous : Sert-il à quelque chose de brûler nos
neurones dans ce train-train quotidien ? La tension entre être cool,
rester zen et répondre à toutes les sollicitations qui vont avec la
charge familiale, professionnelle ou autre, n’est pas gagnée d’avance.
Gestion parfois joyeuse lorsque les succès nous encouragent, mais
gestion hautement problématique lorsque les échecs nous taraudent
l’esprit.
D’autre part, la liturgie de ce mois
est toute traversée par des références apocalyptiques, qui reviennent
chaque année, et qui nous affectent davantage dans notre époque, parce
que l’on touche de près que la gestion que nous faisons de la planète
affecte l’équilibre cosmologique et que l’horizon de la fin menace notre
culture. La sensibilité écologique pénètre de plus en plus tout ce qui
nous entoure, mais en même temps nous avons l’impression d’aller vers
une catastrophe collective par une utilisation non moins consumériste
qu’avant de nos ressources… donc en poussant un peu plus la barque vers
la catastrophe que l’on craint ! Comment gérer le temps et que faut-il
prioriser ? Un équilibre plus écologique ou une production accélérée
comme une fuite en avant sans solutions pour sortir des crises
économiques ? Cela influence en continuité nos rapports sociaux : "Ma
gestion du temps est écologique et celle de l’autre polluante« ; »ma mort
il faut l’éviter celle de l’autre l’accepter".
Bien sûr nous n’allons pas résoudre
toutes ces concomitances automnales sur la question du temps d’un coup
de parole, mais je perçois que l’appel de cette période à envisager le
temps du point de vue de Dieu est plus terre à terre que ce que l’on est
habitué à concéder. Quand on essaye de résoudre toutes ces questions
avec nos paramètres à nous, l’équation devient toujours irrésolue (la
fuite en arrière ou en avant, de même que la paralysie sont des traces
trop présentes). Mais si nous parvenons à ouvrir le regard de notre
temps présent au temps de Dieu nous arriverons à vivre ce présent avec
ce qu’il comporte (joies et espérances, deuils et angoisses) dans la
double dimension de citoyens de notre histoire et de citoyens de Dieu,
devenant tout une source de consolation à l’intérieur des événements du
présent.
Juliane Picard qui a vécu l’enfer
d’Auschwitz est venue témoigner encore cette semaine à la mission
étudiante. Son récit est toujours poignant. Plus forte encore est
l’impression avec laquelle nous restons quand nous l’entendons parler
sur la façon dont elle a vécu sa relation aux autres, dans l’amitié
partagée, ainsi que sa manière de vivre la relation avec Dieu. Relation
qui lui a permis d’apprivoiser le temps. Cela donne à son regard et à
ses paroles incarnées une puissance inouïe. Paroles qui nous
introduisent dans une sérénité et une jeunesse d’esprit enviables.
Il n’y a pas de vent favorable pour celui
qui ne sait pas naviguer. Celui qui vit le présent dans le présent de
Dieu trouve toujours dans les vents de la vie, parfois orageux, un
changement de cap qui fait du présent non menacé l’avant garde du ciel,
Bon automne à tous !!
P. Paco Esplugues, curé