« Instructions pour mieux échouer »
Même si les idéologues du marché et de l’auto-réalisation personnelle n’ont pas arrêté de « vendre le produit du succès » dans nos sociétés, la présence insistante de l’échec dans tous les domaines de la vie a fini par s’inscrire dans la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. La grave crise économique qui affecte notre monde depuis quelques années laisse en porte à faux les slogans de la « culture du succès » et oblige à vivre dans une atmosphère intellectuelle chargée de nihilisme post-moderne.
En effet, rime dans les textes actuels, avant de se convertir en constatation généralisée, l’échec avec l’orgueil prométhéen d’un humanisme engagé qui remplace Dieu par l’Homme comme si tout était pareil. Si on regarde attentivement l’étymologie du mot « échouer », il renvoi à l’idée de naufrage. Cela ne renvoie pas seulement à un simple manque, mais à quelque chose lié à « la frustration ». Cela explique alors que la présence croissante de l’échec dans l’horizon de notre monde entraîne de plus en plus la possibilité de vivre une vie sans aucun sens. Mais en réalité cette vision de l’échec est trompeuse.
Pour mieux vivre notre vie, on gagnerait beaucoup en ce temps de Carême, à se rendre compte que cette vision est erronée. Combien de souffrances ont à la racine un climat culturel faux, fondé sur « la culture du succès ». C’est pour cela que nous proposons en ce temps qui commence, avec l’esprit des béatitudes, de « réussir nos échecs ». Déjà dans la construction de la personne, il n’existe pas de « livret d’instructions » qui permette, une fois bien étudié, de ne jamais se tromper. C’est justement avec nos succès et nos échecs que nous apprenons à vivre notre vie. Pourquoi ? Parce qu’ils nous permettent de valoriser nos talents et nos atouts avec réalisme et du coup nous devenons capables de construire notre personne et nos relations, et de canaliser nos élans d’une façon adéquate.
Toutefois il y a encore beaucoup plus que cela. Dieu se révèle aussi à l’intérieur de ses dynamismes, comme pour dire à l’homme, que la connaissance qu’il a de Lui, est en relation avec la connaissance de soi et aux chemins relationnels qui s’ouvrent. « Désert » en Carême, n’est pas synonyme d’une difficulté rajoutée, mais de ce qui constitue le chemin normal de toute vie. Entrer dans les 40 ans de l’Exode c’est apprendre à « se repérer » en relation avec Dieu dans nos déserts, nos solitudes et nos obscurités quotidiennes. Tout cela est nécessaire à rappeler en ce temps de crise puisque en général les idéologies du succès ont tendance à nous faire oublier ces données élémentaires de « l’art de vivre ».
Mais dans ce Carême nous voulons insister encore plus profondément sur les « instructions pour mieux échouer ». Puisque en effet, plus les échecs sont grands, plus la porte de l’essentiel peut s’ouvrir. Tout cela étant donné que le vrai « art de vivre » est de s’éveiller à l’essentiel pour mieux s’y installer. Ici nous sommes aux antipodes d’un culte de l’échec et d’un pessimisme pour le pessimisme (cela existe aussi, malheureusement, dans notre culture et dans notre Église). Les « instructions pour mieux échouer » c’est autre chose : il s’agit de découvrir le "mieux" qui se réalise dans le fait d’être dépourvu de nos propres armes pour laisser une place totale à Celui, qui est toujours en train de venir vers nous, mais qui se manifeste de manière plus proche et agissante précisément dans nos « fournaises »
La vraie vie, se cache derrière les échecs les plus « cuisants ». Et ceux qui réussissent, ce sont ceux qui ayant les yeux fixés sur le Christ « pontife » de la foi que nous professons, découvrent que tout ce qui était un gain devient ordure. En fait, la connaissance du Christ reste très superficielle, lorsqu’on fuit la mort ou les échecs. La sagesse habituelle qui dérive de cette vision, toute centrée sur le succès de soi (même si c’est nécessaire de la vivre) ne donne pas suffisamment d’élans pour reconnaître et vivre les merveilles de l’Amour auquel nous sommes destinés.
Mais lorsque la mort qui s’approche est regardée en face, la vie peut être pleinement accueillie et pleinement donnée. Et on comprend mieux les grands saints que nous sommes aussi appelés à être. Etty Hillesum et François Xavier. Thérèse d’Avila et Saint Paul. Si toute l’humanité comprenait la merveille de la croix, les hommes auraient alors intérêt à tout perdre pour entrer dans la crise volontaire de tant de mirages. Ils pourraient ainsi créer des relations d’unité fondées sur l’amour rédempteur. C’est à l’Ecole de Gethsémani et du « pied de la croix » que ces merveilles se révèlent. Demandons à Marie qu’elle nous apprenne à « mieux échouer » avec son Fils pour libérer les hommes du mirage de l’orgueil !
P. Paco Esplugues, curé
bulletin-mars2014 PDF