Charles était un chercheur de la vérité jusqu’à sa conversion, Le père Huvelin, dans l’église St Augustin à Paris, en octobre 1886, lui fait découvrir une « Présence » qui s’offre à lui. Il accueille Jésus, le ressuscité, le Vivant, qui se donne à lui dans les sacrements du pardon et de l’Eucharistie. Dieu est rencontré dans un don gratuit de lui-même et non comme l’aboutissement d’une recherche intellectuelle. Tout au long de sa vie, il expérimentera cette présence comme une grâce toujours redonnée ; toute sa vie tournera autour de l’Eucharistie.

 « II n’y a pas de parole d’évangile qui ait fait sur moi une plus profonde impression […] que celle-ci : “Tout ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites.” Si l’on songe que ces paroles sont celles […] de la bouche qui a dit : “Ceci est mon corps, ceci est mon sang”, avec quelle force on est porté à chercher et à aimer Jésus dans ces petits… »

C’est en 1916, peu de temps avant sa mort, que Charles de Foucauld écrit cette phrase, comme une synthèse de son expérience spirituelle et de son témoignage missionnaire. En effet, après trois années à Béni-Abbès – où se trouvait une garnison militaire et donc une communauté de chrétiens –, il participe à la découverte du Hoggar et décide de s’y établir : pas de soldats français, pas de communauté chrétienne, et donc pas d’eucharistie ! L’homme qui a fait du culte eucharistique le centre de sa vie et qui veut fonder des Fraternités pour qu’elles adorent longuement le Saint-Sacrement choisit d’aller à Tamanrasset où l’eucharistie lui fera défaut. La pratique de l’eucharistie et la contemplation du Christ Sauveur lui ont fait comprendre, à la demande de l’évêque du Sahara, que la présence eucharistique était aussi celle du Corps du Christ en ses membres humains : il sera lui-même une eucharistie vivante au milieu des Touaregs, jusqu’au jour de son offrande, le 1^er décembre 1916.

II n’a pas élaboré la théologie de cette pratique, il l’a vécue. Il n’a jamais opposé le culte et la dévotion à l’eucharistie au service des pauvres, comme s’il passait de l’un à l’autre. On peut dire, au contraire, que son amour des pauvres a pris tout son sens dans l’eucharistie, et que l’amour du Corps eucharistique du Christ s’est déployé dans le service des petits. Ce témoignage de vie eucharistique est de nature à éclairer notre paroisse qui consacre du temps à l’adoration du Saint-Sacrement. Depuis des siècles, des ordres contemplatifs, des paroisses, ont nourri leur vie spirituelle par l’adoration. Parfois, cette dévotion semble prendre le pas sur l’engagement missionnaire. Ce dualisme est dangereux pour la vie ecclésiale et pour l’expérience spirituelle. A la suite de Charles de Foucauld, nous expérimentons chaque semaine que c’est le contraire.

Rejoindre dans la prière le Christ adorateur du Père, c’est Le contempler dans l’extension de son Corps eucharistique : « Vous êtes le Corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part », dit saint Paul. L’un des critères de qualité de l’adoration eucharistique, c’est donc le rapport au frère. L’eucharistie est le lien organique entre le signe sacramentel et l’Eglise qui nous le donne. Dans ce Corps du Christ, la place éminente des pauvres est un critère de vérité de la vie spirituelle. Tant la pauvreté des corps que la pauvreté des âmes. Chez Charles de Foucauld, deux pôles sont toujours maintenus : l’adoration eucharistique, longuement vécue dans le silence, et la présence aux petits, dans les milieux les plus pauvres de la planète comme dans les lieux de responsabilité collective. « La mesure de l’amour n’est pas ce que je peux donner à l’autre, mais c’est ce dont l’autre a besoin, ou ce dont Jésus a besoin en lui », dira Charles de Foucauld à la suite de Thérèse d’Avila, en contemplant Jésus eucharistie !

C’est donc une spiritualité de la vie ordinaire que le message foucauldien présente au monde. Sous ses apparences exceptionnelles – et parfois dans des comportements où il s’est laissé entraîner à des excès –, Foucauld était un homme très réaliste : il avait le souci de la croissance humaine des hommes et des femmes du Hoggar ; son combat contre l’esclavage, ses projets pour l’éducation des Touaregs et ses exigences à l’égard des responsables militaires ou civils pour qu’ils respectent la dignité des pauvres, tout montre qu’il n’était pas guidé par une idéologie désincarnée. Il rappelle à l’Eglise que la vie de chaque chrétien est celle d’un humble témoin de l’Evangile. A sa manière, il témoigne que la vie mystique et l’engagement dans le monde ont la même source et la même fin, que la vie selon l’Esprit est évangélisation du monde. Son témoignage incarné éclaire particulièrement l’avenir de la foi dans nos « Tamanrasset » avignonnais ! 

PACO ESPLUGUES, curé