« Responsabilité officielle, vraie responsabilité »
Par les temps qui courent durant lesquels on a l’impression que les instances de pouvoir et de gouvernement, à beaucoup de niveaux, se sentent menacées je voudrais vous faire part de certaines considérations basiques tirées de la perception sociale de l’évangile. Je suis sûr qu’elles peuvent désamorcer les pièges que les visions habituelles (assez épidermiques), nous procurent.
Primaires et présidentielles, crises dans les mairies, problèmes dans le gouvernement de l’église ou des églises, conflits à la tête des associations et dans les familles. Une réflexion sur la nature des structures du pouvoir et des chemins d’une vraie responsabilité, (qui ne coïncident pas souvent), peut nous aider à oxygéner notre présent et à donner des ailes à la véritable espérance. Les crises du pouvoir peuvent être, si notre regard est lucide, de vrais tremplins pour mieux replacer les fondements de la vie commune. Le vrai pouvoir qui rend une vie féconde est peut-être ailleurs.
En voyant dimanche les dernières minutes de la finale Federer-Nadal de l’Open d’Australie, aux Halles où j’étais venu pour récupérer les légumes invendus que gracieusement nous donnent des amis chaque semaine pour nous aider, des petits flashes me sont venus à l’esprit. Entre autres, le souvenir d’un vieux prêtre responsable d’une communauté internationale. Quand il visitait une communauté sa question était toujours :"qui figure ici comme responsable ?". La nuance était en lui très consciente. Une est la figure du responsable officiel, autre est la réalité de celui qui, avec ou sans titre, vit en tant que responsable des autres et de leur mission. Moi en tant que responsable officiel cette nuance me gênait, mais par la suite elle m’a toujours fait un bien fou.
Entretemps Federer et Nadal échangeaient leurs derniers coups. Bien qu’aucun des deux ne soit actuellement le roi du tennis mondial, leurs prestations attiraient les regards de toute la planète. On se moquait du titre officiel, on se régalait de leur jeu.
Une sorte d’illustration des deux plans, officiel et réel, qu’il nous faut avoir à l’esprit dans les crises du pouvoir. Évidemment on dira qu’avoir le pouvoir officiel donne toujours des atouts pour agir, atouts que l’on n’a pas quand on se trouve en marge des décisions... Évident. Mais cette évidence peut masquer une réalité plus basique encore, à savoir que le pouvoir réel de ma personne et donc ma fécondité et ma responsabilité, ne sont jamais entamés par les titres que j’ai ou non. Ma joie intérieure et mon oxygène dans la vie, mon vrai rayonnement ne sont jamais empêchés par les structures officielles de ma représentation. Faire cette clarification dans le cœur est libérateur. Ne pas la faire engendre des frustrations et des violences impressionnantes et totalement inutiles.
La conscience chrétienne qu’est la « réalité du corps du Christ » est la meilleure vision de la réalité de tout pouvoir en évitant l’amalgame mortifère de la perception courant. Chacun de nous dans notre société, est placé, qu’il le veuille ou non, dans la construction de tous. Dans la société et dans l’église, dans la commune et dans la famille. La façon de l’envisager et de le vivre ne dépend pas forcément du titre. Les crises du pouvoir et l’amalgame des pouvoirs donnent le climat de crise généralisée que nous vivons. Savoir faire la différence place nos talents en "mode positif et responsable". Quel bien on en retire pour le présent !
L’ancienne ville des papes qu’est Avignon est le dernier flash qui illumine cette réflexion. Le pape est à Rome. Son rôle sacramentel pour l’église universelle est bien fondé dans l’évangile, mais le palais des papes d’Avignon nous rappelle peut- être l’autre pôle dont on parle. En Christ, existentiellement, nous sommes tous en position de pape. Personne ne peut nous empêcher avec le back-ground du corps du Christ dans notre vécu, de vivre le quotidien en fonction de tous. Je suis heureux d’habiter dans la ville de la fécondité existentielle, celle du vrai pouvoir/exousia (pouvoir dans l’exercice) que personne ne peut ôter. Si jamais cette perception nous habitait, les crises du présent nous ouvriraient mieux l’avenir que les crispations, fruits de l’aveuglement de l’amalgame.
Federer a gagné et non Nadal mon compatriote, mais ma joie n’était pas entamée. Aucun des deux n’avait le titre du Roi mais tous les deux en jouant au mieux d’eux- mêmes nous ont régalés. Comme Marie silencieuse du haut du palais d’Avignon. Quelle paix.
P. Paco Esplugues, curé