Il semble bien que les Etats généraux de la Bioéthique soient passés à la trappe. Mis en place à l’initiative du gouvernement pour vérifier le « large consensus » appelé de ses vœux par le Chef de l’Etat comme condition d’une évolution de la législation française en faveur de la « PMA pour toutes », ils devaient rendre compte de l’avis des citoyens. Malgré une organisation opaque, la participation a dépassé toutes les prévisions et les espérances, tant pour les débats régionaux que pour les contributions sur internet. Mieux : la grande majorité des participants et des contributeurs se sont déclarés, de manière argumentée, contre l’inscription dans la loi de ce qu’il convient d’appeler la « fabrication d’enfants sans père » au nom du « droit à l’enfant ». Bon nombre d’enquêtes d’opinion, publiées ces derniers mois, vont dans le même sens : non seulement une majorité de citoyens plaident pour l’importance du père dans la filiation et l’éducation des enfants, mais une majorité se prononce pour un report du débat parlementaire afin de ne pas réveiller les divisions au sein de la société française. Plus : un sondage fait apparaître que la légalisation de la PMA pour toutes arrive en 17e position sur 18 priorités actuelles des français, loin, très loin derrière le chômage, l’immigration et le pouvoir d’achat !
Malgré cette démarche citoyenne, le Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE), qui en a assuré le pilotage, émet un avis favorable, après comme avant les Etats généraux, comme s’ils n’avaient pas eu lieu. Pareillement le Conseil national de l’Ordre des médecins. Et il ne se passe pas un jour, sans que les grands medias ne se fassent l’écho d’une prise de position « autorisée » - ministres du gouvernement, parlementaires, personnalités de la société civile… - en faveur de la PMA ! La ministre de la santé déclare même que « tous les indicateurs sont au vert » pour inscrire la PMA pour toutes dans le projet de loi de bioéthique ! Sans compter les campagnes orchestrées par des lobbies pour dénoncer la recrudescence des actes dits « homophobes » - quand bien même la Préfecture de Police de Paris enregistre une baisse de 37% de ces agressions durant les neuf premiers mois de l’année -, assurer la promotion du film gay dans la presse, rendre compte de revendications tapageuses au nom de l’égalité et du principe de non-discrimination, balayé pourtant par un avis du Conseil d’Etat… Des ballons d’essai sont même lancés en faveur de la GPA (gestation pour autrui ou mères porteuses), avec force campagnes médiatiques autour d’un journaliste vedette passé maître dans l’art d’exciter la fibre compassionnelle : on en oublierait presque que le « prix » d’un enfant obtenu par GPA, s’élève à des sommes astronomiques, en décalage indécent par rapport au niveau moyen d’un ménage qui ne parvient pas à boucler ses fins de mois et qui se voit rétorquer par le sommet de l’Etat : « Si on se plaignait moins, la France irait mieux » ! A moins que l’agitation du spectre de la GPA ne serve à mieux faire accepter la PMA… La bioéthique, qui apparaît étroitement liée à la biotechnologie, finit pas être prisonnière de la « bio économie » : c’est qu’il y a manifestement un « marché » derrière ces revendications !
Résolument engagé dans une démarche de dialogue, le groupe de travail chargé des questions de bioéthique au sein de la Conférence des évêques de France a commis un texte très argumenté sur « La dignité de la procréation ». En insistant sur le risque de fabrication, de marchandisation et d’instrumentalisation induit par ces techniques de procréation assistée, le texte pointe les problèmes éthiques posés par la PMA en général et, qui plus est, quand elle est appliquée à toutes les femmes, en rappelant l’intérêt supérieur et le droit inviolable de l’enfant. Cette déclaration, que les évêques de France ont tous signée nominativement et publiée le 20 septembre dernier, constitue, à n’en pas douter, un texte de référence, dont l’argumentation éthique, anthropologique et juridique est particulièrement pertinente et bien à même d’éclairer les consciences.
Mais qu’en sera-t-il de ces Etats généraux et de ce texte épiscopal face à un rouleau compresseur médiatique qui est déjà passé à l’offensive et dont il est permis de douter de l’aptitude à un dialogue apaisé et respectueux de la démocratie ? Certes, quand Dieu crée, il entre en dialogue avec sa créature ; quand Jésus annonce l’Evangile, il entre en dialogue avec les pécheurs ; quand l’Eglise accomplit sa mission, elle se fait conversation avec le monde : mais c’est toujours Dieu, Jésus ou l’Eglise qui prennent l’initiative en vue du vrai bien de tous. Faut-il cependant dialoguer avec le Tentateur ? Pour l’avoir fait, Adam et Eve ont précipité l’humanité dans le chaos !
L’heure n’est-elle donc pas venue d’une parole prophétique dont le but n’est pas nécessairement de gagner une bataille d’idées ou de mots, encore moins une bataille politique, mais de parler à la conscience des gens et de faire progresser le « printemps des consciences » qui finira bien par secouer le joug de la culture de mort qui nous ferme l’horizon ? Le moment n’est-il pas venu d’entrer dans le combat et d’abord dans le combat spirituel si souvent souligné par le Magistère récent ? Ce combat anthropologique pourrait bien coïncider avec le combat eschatologique évoqué par saint Jean dans l’Apocalypse : le combat de la femme, revêtue du soleil, et du dragon se tenant en arrêt devant la femme sur le point d’enfanter pour dévorer l’enfant mâle aussitôt né (cf. Ap 12). Difficile en effet de ne pas discerner dans ces tentatives de « dénaturation » de l’homme, des « manœuvres du diable » s’attaquant directement au dessein Créateur de Dieu sur la vie, le mariage et la famille, tel qu’il est exprimé dans la « Vérité du commencement » : Jésus lui-même y renvoya les pharisiens sur la question du divorce : « C’est à cause de votre dureté de cœur que Moïse vous a concédé cela, mais au commencement, il n’en était pas ainsi » (Mt 19, 8) ?
Certes, il faut se méfier de la rigidité doctrinale à laquelle peut conduire une affirmation de la Vérité qui n’est pas assez pénétrée d’amour. Mais en se fondant dans une attitude de compassion pour s’opposer au dessein Créateur de Dieu, les évolutions sociétales d’aujourd’hui nous exposent à la dureté du cœur dénoncée par Jésus : c’est ainsi que la compassion pour la souffrance d’un malade en phase terminale peut conduire à supprimer le souffrant et la compassion pour un couple de femmes en désir d’enfant peut amener à sacrifier des embryons et à priver intentionnellement un enfant de père… Quand la compassion n’est pas suffisamment éclairée par la Vérité, elle conduit immanquablement à la dureté du cœur, plus destructrice encore que la rigidité doctrinale. Comme l’écrivait Georges Bernanos en 1938, avec une lucidité toute prophétique : « L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible ».
En rendant témoignage à la Vérité, en se mobilisant et en se manifestant, on n’échappera pas à l’accusation d’être « clivant ». Mais c’est la Vérité qui est clivante, précisément parce que le premier principe de la connaissance intellectuelle – dont l’objet est la Vérité comme adéquation de l’intelligence et du réel – est le principe de non contradiction : « Ce qui est est, ce qui n’est pas n’est pas », ainsi formulé par Jésus : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non. Ce qui est en plus vient du Mauvais » (Mt 5, 37). N’ayons donc pas peur d’entrer dans ce combat et confions-le au Seigneur qui nous a enseigné à dire au Père : « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal », c’est-à-dire du Mauvais !