Cette année, la semaine de Pâques a été spécialement émaillée par le drame de Carcassonne et ses commentaires continus, des Rameaux jusqu’à Pâques. Tout porte à croire que cet événement, illuminé par le mystère pascal que nous avons célébré, peut nous permettre de franchir un nouveau seuil de conscience collective, que nous ne devons pas manquer.
Il peut y avoir un avant et un après régénérant en profondeur les vraies valeurs d’une société. Il ne s’agit pas de renchérir autour de la lutte entre l’islam radical et notre société décadente. Cette lecture superficielle prend une place de plus en plus importante. Cette façon de lire ne fait qu’exaspérer la société et la plonger dans une violence croissante. Ce qui s’est passé à Trèbes peut éclairer la conscience sociale commune à la lumière de Pâques et nous faire retrouver des ancrages justes pour rebondir collectivement dans un dépassement fructueux.
Je suis impressionné par la confluence d’éléments qui se rassemblent autour du geste du colonel "au grand cœur". Ce qu’il a vécu suppose le dépassement des références de l’individualisme libéral. Quand on essaye de comprendre son libre « don de soi » uniquement par rapport au culte de l’individu, son geste est incompréhensible. Derrière le don de sa vie se cache implicitement ce qui pourrait aussi donner du sens à nos vies. Est-il raisonnable de s’impliquer avec la vie de l’autre ?
Notre société a besoin de valeurs plus fortes que les émotions... Si on pouvait saisir le sens de ce qui s’est passé, sans que les interrogations que ce drame suscite ne soient noyées dans les discours médiatiques des acteurs de différents bords, de cet avant et de cet après pourrait jaillir une nouvelle conscience...
Retrouver le vrai sens du sacrifice (parce que sacrifice a eu lieu) est la charnière. La société occidentale a réduit le sacrifice à un problème de fanatisme et de maladie psychologique. C’est vrai qu’à une certaine culpabilité malsaine on a relié un concept de sacrifice malsain. Des visions malsaines du sacrifice existent. Des culpabilités malsaines existent. Mais hélas, ces excès ont amené aussi à affirmer que tout sacrifice est malsain ou inutile. Toute culpabilité aussi.
Oscar Wilde dans le texte sur « Le rossignol » donnant jusqu’à sa dernière goutte de sang, montre comment une société superficielle qui ne connaît pas le vrai sens de l’amour peut considérer le sacrifice comme inutile en face des réalités concrètes, matérialistes ou prosaïques. Mais une société qui connaît et qui vit l’amour comprend sans doute le sacrifice. Ce n’est pas le remplacement malsain d’une faute mais l’expression de l’aboutissement de l’amour ! Et celui-ci existe encore aujourd’hui.
C’est précisément cet amour qui a été banni de tous les rapports sociaux en dévaluant profondément la valeur de ce que la personne porte de plus précieux : la semence divine.
Sacrifice était le grand nom du dévouement jusqu’à la mort pour la patrie, aujourd’hui réduite à des étendards dissimulant la médiocrité commune. Sacrifice était le grand nom aussi des révolutionnaires donnant leur vie pour leurs causes et qui aujourd’hui ont réduit leur combat à défendre des acquis sociaux sectoriels même si les autres secteurs en payent les conséquences.
L’islamisme des banlieues est un symptôme de cette même société superficielle et non un élément étranger comme il apparaît souvent. Le discours salafiste est fanatique. Il s’est emparé de l’idée de sacrifice avec succès parce qu’il propose un aspect d’absolu, très malsain sans doute, qui, inconsciemment, répond à la recherche, par les jeunes des banlieues (nos banlieues) du sens à la vie. Leur radicalisme ne disparaîtra pas à l’aide de nos appels à la modération de nos discours plats de consommateurs, non moins malsains. Ils ont le même sens de l’absolu qui faisait dire à Goebbels qu’Hitler était le seul à galvaniser son cœur ! Et il le galvanisait vraiment, faute de la confiance éveillée de ceux (nous), qui auraient pu apporter à la société le vrai sens total de la vie offerte !
Le sens du don de la vie du colonel Beltrame ne peut pas être assimilé à la franc-maçonnerie ni à une citoyenneté ordinaire, mais au sens pascal de la vie qui fonde ses racines dans la connaissance du Christ. Il est le bon sens du sacrifice, celui qui se fonde dans la rencontre avec le Christ mort et ressuscité par amour pour nous, impliqué avec nous jusqu’à libérer nos cœurs de ce qui empêche que l’amour devienne total, absolu. C’est le bon sens d’une société imprégnée de la présence du Ressuscité dans l’actualité de nos vies qui permettra de dépasser les clivages irréductibles.
C’est ce sens qui nous rend capables d’entretenir une culture militante des vraies valeurs. Non un dialogue plat, mais une vraie recherche du vrai et du bon. Dialogue qui dépasse le purement consensuel (la vérité réduite au jeu des intérêts). Le consensuel est le signe de la paresse de rejoindre le noyau divin de l’humain. Le christianisme de Beltrame n’est pas un accident, il est la révélation de l’essentiel. A condition qu’il y ait des récepteurs capables de se laisser interroger par son acte… hors des discours politiquement corrects. Seule l’école du Ressuscité peut nous aider à percevoir sa pertinence.
A la lumière du Christ, que signifie regarder en face l’acte du colonel Beltrame ? L’éveil du sens du sacrifice par amour dans tous les cœurs. Élever la vie à la hauteur du sacrifice par amour est aux antipodes du fanatisme. Quelle est l’importance de la personne de l’autre ? Quelle est la valeur de la relation ? Quelle est la valeur de la maternité ? Quelle est la valeur d’une vie ? Quelle est la source qui engendre le dépassement de soi ? Comment vivre l’éternité dans le présent de nos histoires ? La foi à l’eucharistie, au corps vivant du Christ peut-elle configurer notre vie ? Pouvons-nous vivre la vie quotidienne non comme une menace mais en confiance avec des ressources spirituelles qui rendent le présent lumineux ?
Sans doute que pour pouvoir vivre ainsi, une condition préalable s’impose : notre responsabilité de construire une société où la vérité, qui donne les raisons de vivre et mourir, soit au cœur de la formation des jeunes et de la culture des médias. Le bien moral et la responsabilité de nos actes se soutiennent seulement dans le fondement d’un discernement qui transcende nos consensus, qui a des ancrages divins. Sinon, ce ne sera qu’une lumière éphémère.
Je désire vraiment qu’il y ait un avant et un après. Une culture chrétienne n’admet plus de délais. Voici le sens intégral de Pâques. Pas un feu de paille mais un feu durable vers une vraie Pentecôte.
Suivre les pas du ressuscité c’est cela. Bonne suite dans l’apprivoisement de la Pâque !
Paco Esplugues, curé