Par les temps qui courent il est nécessaire de clarifier les concepts. Peut-il y avoir un chrétien qui ne soit pas traditionaliste ? Peut-on dire allègrement qu’on change de paradigme au point que ce qui était en vigueur hier ne l’est plus aujourd’hui, les paramètres sociaux ayant changé ? En revanche, comme le père Yves Congar s’interrogeait durant le concile Vatican II : Peut-on rester attaché à des traditions, sans se soucier de vérifier, dans l’accueil conscient, leur véracité ? (cf. Jn 3,33).
Il n’y a pas d’église sans Tradition. L’Eucharistie est le Christus tradit. Il se livre pour nous au Père. Il se livre à nous comme frère. Il se livre par nous aux hommes. La Tradition c’est Lui, et Lui complet. Latere Christi dormientis in crucem ortus est sacramentum totus ecclesiam (C’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né l’admirable sacrement de l’Eglise tout entière). Chaque fois qu’on célèbre le saint sacrément se réalise la naissance de l’Église comme Corps et Épouse du Christ. La Tradition c’est le Christ qui, semper, associe l’Église, son épouse, à lui-même, à sa glorification du Père et à son don total aux hommes.
Cette tradition est par nature vivante. Pour être vivante il faut qu’elle reçoive intégralement le Christ, qu’elle se configure à Lui, et que, conjointe à son Époux, elle participe à l’offrande au Père, et qu’elle donne Le Christ aux hommes, unie à Lui, en se donnant, transfigurée dans la joie. La répétition des formules liturgiques ou doctrinales du passé ne produit pas par elle-même le vrai dynamisme de la tradition vivante. Répéter purement conduit à la mort. Celui qui veut répéter s’empare de certains actes ou croyances sans être forcément saisi par eux (Phil 3,18). Cette manière de comprendre la tradition en ferait une tradition morte. On pourrait ainsi à la fois affirmer et même brandir comme un drapeau la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, et ne pas en vivre.
Et pourtant, la tradition vivante ne se reçoit que par la tradition de tout ce que l’Église est et transmet : Magistère, liturgie, ministère... La créativité ne viendra jamais en supprimant ce qui ne plaît pas à l’air du temps même si on l’appelle paradigme. Le Christ nous donne une vie qui accomplit l’humain, mais si nous ne vivons pas d’une manière surnaturelle, cette vie nous paraîtra antihumaine. On propose souvent que cette vie, qui semble impossible au niveau humain, s’adapte, par exemple en ce qui concerne la fidélité au mariage, le célibat des prêtres, la radicalité dans le don de soi, etc. On n’est plus alors dans la créativité mais dans la dissolution de la tradition. La force libératrice de la grâce est anesthésiée. La répétition d’une part, et d’autre part, une créativité qui s’affranchit de la vérité reçue du Christ pour Le rendre « actuel », sont deux pôles qui, coexistant, cloisonnent la vie de l’Eglise.
Le Dimanche de la Fête-Dieu nous avons fait la procession du Saint Sacrement dans les rues d’Avignon, avec les enfants du catéchisme présidant le cortège. Un acte d’une importance énorme car il réalise le cœur de la foi : le Seigneur réellement présent dans son Corps visite nos rues pour nous aider à mieux le reconnaître dans le corps de nos frères. Il est tradition vivante et source d’un amour nouveau. La présence réelle du Christ dans l’Eucharistie nous fait comprendre l’amour qui est impliqué en toute relation, et que la chasteté du cœur (dans le choix du célibat ou dans le mariage et la promesse de fidélité pour toujours) est un don pour le recevoir. Il nous faut alors porter le Saint Sacrément dans les rues ouvrant les cœurs au « mystère de communion » qu’Il réalise, autrement nous le profanerions sans à peine nous apercevoir.
Ces deux manières de comprendre la vie de l’Eglise peuvent dans leur raccourci gommer l’essentiel. Ne nous laissons pas porter vers des lectures caricaturales, continuons à prier et à former notre foi pour nous y conformer. Vérifions sa pertinence dans l’accueil personnel et communautaire. Seulement ainsi le Christ vivant pourra rencontrer nos enfants, nos frères croyants et les hommes qui en sont éloignés, dans la joie complète de l’évangile.
Paco Esplugues, curé