« Si le sel s’affadit... »
Le Seigneur parle au cœur du sermon sur la montagne sur comment il voit l’Eglise, son Epouse, chair de sa chair, dans le monde. Il parle des joies qui traversent son humanité et dit aux disciples et à la foule que ces mêmes joies se réaliseront dans leurs vies (« Heureux les cœurs purs ils verront Dieu, heureux ce qui luttent pour la justice et qui sont persécutés... »). Juste après ce discours, Il leur dit : « Vous êtes le sel de la terre ». C’est-à-dire, le monde en quête de vérité et de bonheur, découvrira l’Evangile quand ces joies commenceront à toucher leurs vies. Le monde a plus besoin de témoins que de maîtres, ou en tout cas « des maîtres devenues des témoins »- disait Paul VI. Plus loin le Seigneur pose deux questions radicales : « Si le sel vient à s’affadir comment peut-on lui redonner sa saveur ? Où donc le fils de l’homme, lorsqu’Il viendra, rencontrera-tIl la foi sur la terre ? ». À la première il répond qu’elle « ne sert plus à rien, qu’il faut la jeter... ». À la seconde il ne donne pas de réponse...
Ces deux questions résonnent aujourd’hui avec une force inouïe. Et ses réponses il me semble aussi. Comment pouvons-nous être le sel de la terre et les témoins du Royaume si le sel s’affadie et il est même corrompu ? Saint Jean Chrysostome commente ce passage, et il dit que le Seigneur envoi les disciples d’abord pour éradiquer ce qui est pourri, pour dénoncer le péché et qu’il puisse ainsi être confessé et racheté. Le sel aurait aussi pour lui la fonction de garder et de conserver saine la chair guérie. C’est ainsi que quand les apôtres sont eux-mêmes corrompus la chose est d’une gravité énorme. Le Christ est bafoué à l’extrême. Peut-on rester en silence ? Quelle réaction aurions-nous en voyant quelqu’un en train d’empoisonner les médicaments destinés à guérir les maladies les plus graves, celle de l’âme ? Ne faudrait- il pas l’arrêter à tout prix ?
La culture du silence et celle du regard torve et fuyant tue encore plus que les blessures affrontées. « Le pire n’est pas la méchanceté des mauvais mais le silence des gens bien ». Que nous ne réagissons que quand la peur des campagnes médiatiques nous touche, c’est que le sel des béatitudes est en train de s’affadir. Y aura-t-Il des réactions venant de la conscience qu’ô combien le Christ s’implique, avec nous et par notre ministère, pour le salut du monde ?
Le Christ n’a-t-Il pas le pouvoir encore aujourd’hui de guérir les cœurs ? Des relations chastes, vécues dans la joie du véritable Amour, ne sont-elles pas possibles ? Les relations nouvelles que la Pâque nous a offertes sont-elles possibles ? Ne seront-elles pas des signes de crédibilité concrets que le Christ est vivant ?
Ma réaction est mue par la conviction que le Christ a encore aujourd’hui le pouvoir de combler les cœurs. Je proteste vivement contre cette politique de l’omerta parce qu’il y a beaucoup de prêtres et évêques, des religieux et religieuses, des missionnaires qui donnent la vie par tout dans le monde, des laïcs qui, par pure grâce, vivent la joie d’un cœur pur ! Et donc qui sont capables de témoigner - comme du vrai sel vivifiant- que le Seigneur ressuscité a inauguré le royaume de l’Amour. Faute de quoi il n’y aurait plus d’Eglise. Certains semblent le dire déjà.
Il est temps de se poser des vraies questions ; certains pointent vers un assouplissement des exigences du sacerdoce, je crois que c’est un mirage. Je crois que seulement une plus grande fidélité au Seigneur qui vient de communautés chrétiennes vivantes qui incluent un engagement éthique accordé à l’évangile (donc à contrecourant du monde) et une formation de pasteurs capables de donner la vie pour cela sera une réponse adéquate. Il pourra ainsi jaillir la certitude d’un « oui ! » à la question de Jésus : « Quand le Fils de l’homme viendra trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Paco Esplugues, curé