« S’en laver les mains » ou laver les pieds ?
« S’en laver les mains » est une attitude qui évite de se compliquer l’existence face à la réalité. En apparence c’est un désir de rester neutre devant un conflit vécu par d’autres et dans lequel on ne veut pas prendre parti. C’est souvent une bonne issue. Quand on se mêle des situations sans connaître les tenants et les aboutissants, on risque parfois des jugements rapides qui peuvent compliquer profondément les situations. Mais cette attitude de prudence n’est pas possible lorsque nous sommes en situation de décider... Se laver les mains quand nous devons décider signifie démissionner de notre responsabilité, laisser l’injustice prendre le dessus, permettre de facto des situations injustifiables, devenir coopérateur du mal. Tant de situations personnelles et sociales même ecclésiales sont le fruit d’une telle lâcheté...
Quand on le voit chez Pilate, on en perçoit la portée tragique, mais n’est- ce pas monnaie courante dans beaucoup de nos actes quotidiens, en famille, dans l’école, dans la politique, dans l’église, dans la société ? Méditer la passion de Jésus en découvrant que toutes nos lâchetés ont des conséquences identiques à celles engendrées par la lâcheté de Pilate, nous permet de vivre cette semaine sainte avec un regard plus profond. Le Christ nous dit "C’est à moi que vous l’avez fait". La passion de Jésus aujourd’hui doit nous provoquer un très fort réveil quand nous l’entendons nous dire, comme Saul sur le chemin de Damas : « C’est moi Jésus à qui tu fais tant de mal ».
Quand on entend Jésus nous dire "J’ai soif", parce qu’Il s’étouffe dans une société malade et sans vérité, prendre des responsabilités devient un besoin.
La contemplation de Pilate nous livre des éléments essentiels qui peuvent nous aider, non seulement à détecter ce qui ne va pas en nous mais ce qui peut changer.
« Sais- tu que j’ai pouvoir sur Toi ? » dit Pilate. Mais la société individualiste, la spiritualité mondaine, la vie faussement contemplative, parce que plus centrée sur sa sainteté que sur l’amour concret, ne veut pas entendre parler de responsabilité envers l’autre. Elle se lave les mains. Elle voit des enfants mourir sans naître et elle dit : « Que puis-je faire ? » Elle voit des abus de pouvoir et elle dit : "ça ne me concerne pas". Il y a des perversions qui font leur nid facilement dans un « monde de Pilates ».
La raison fondamentale continue à être de considérer les situations sans purifier les fausses idoles qui sustentent notre lecture. Pilate ne veut pas entendre la Vérité. Notre société ne veut pas entendre la vérité. Dans notre Église on risque aussi de ne pas vouloir l’entendre. La Vérité rend libre. Les esclaves ne veulent pas venir à la lumière de peur que leurs œuvres, dans leur profondeur, deviennent manifestes. Et quand le discernement met en suspension la Vérité, il est certain qu’il y aura des victimes. Quelle est la Vérité que Pilate n’a pas voulu entendre ? :
« C’est pour cela que je suis né. C’est pour cela que j’étais envoyé. Pour rendre témoignage à la Vérité. Celui qui est de la Vérité écoute ma voix ».
Jésus est là pour prendre en charge, pour donner la vie en faisant sienne la vie de l’autre. Même celle de Pilate. Son fondement c’est qu’Il est plongé dans la Vérité Infinie de l’Amour du Père. Dans la Vraie Miséricorde.
"En sachant que le Père avait tout mis dans ses mains, qu’il venait de Lui et qu’il revenait vers Lui, ayant aimé les siens il les aima jusqu’au bout...« et en prenant une serviette, »Il dépose ses vêtements et se met à laver les pieds de ses disciples" (cf. Jn 13).
Dans cette semaine sainte nous sommes invités à détecter toutes les situations de notre vie sociale (ces élections qui approchent en temps pascal devraient nous y faire penser) et ecclésiale, où nous démissionnons de notre responsabilité.
Nous devons regarder ces situations non pas pour s’en vouloir, avec une culpabilité stérile, mais pour découvrir que quand nous reconnaissons l’union que le Christ vit avec nous ("Il s’est fait une seule et indivisible personne avec nous" - écouterons lors de la liturgie du Samedi saint), nous découvrons que prendre en charge les réalités que le Père nous confie est le meilleur moyen de ressusciter à l’Amour, le meilleur moyen d’inaugurer la Caritas in Veritate, et donc, comme fruit, les relations nouvelles que le Seigneur nous a obtenues par sa Pâque.
La Passion de Jésus y prend tout son sens !
P. Paco ESPLUGUES