L’histoire de la Passion du Christ est peut-être l’histoire la plus populaire et la plus connue de toutes celles qui nous ont été transmises, de génération en génération, à travers les siècles. Nous tous, croyants et incroyants, pourrions reconstituer cette histoire à travers ses décors les plus caractéristiques (Gethsémani, Prétoire, Calvaire, etc.) et nous souvenir de ses ennemis les plus cruels (Judas Iscariote, Caïphe, Pilate, Hérode, etc.), ainsi que des figures compassionnelles Lui offrant du réconfort, du Cyrénéen qui l’aide à porter la croix, au centurion romain qui reconnaît sa filiation divine.
Pour le croyant ce n’est pas qu’une histoire inspirante, car en elle se condensent les plus grands mystères de sa foi couronnée par la douleur, mais peut-être aussi pour l’incroyant, puisque la Passion du Christ montre la plus terrifiante des iniquités : la condamnation d’un innocent. La phrase qui résume le mieux la Passion pourrait être celle que Jésus prononce pendu sur la croix, quelques instants avant d’expirer : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ».
Mais à côté de cette Passion si connue par l’iconographie, existe une autre passion beaucoup plus discrète dans la vie de Jésus dont on ne parle pas ; une passion cachée et non une passion concentrée dans les derniers jours de son existence terrestre, mais répartie tout au long des trois années de sa vie publique.
Dans cette passion cachée, nous ne trouvons pas les décors caractéristiques de la Passion canonique, mais des paysages humains exaltants, des foules qui applaudissent le Christ, l’acclament avec ferveur, sortent pour le recevoir avec des palmes et des lauriers, clamant leur enthousiasme devant ses merveilles (pas loin des décibels actuels des louanges médiatiques). Dans cette passion cachée, nous ne trouvons ni méchants cruels déterminés à Lui nuire ni femmes samaritaines pour le consoler, mais plutôt ses disciples, parfois même ses propres apôtres, qui l’affligent avec un amour pas encore prêt... trop court
En parcourant les différents épisodes de cette passion cachée, on pressent que le Christ a dû beaucoup souffrir, surtout parce que passion supportée en secret, face à l’indifférence aveugle de son entourage qui ne se rendait même pas compte combien il était en train de l’affliger. Peut-être que la phrase qui résumerait le mieux cette douleur cachée serait : « Père, pardonne-leur car ils n’ont rien compris ! ».
Cette passion cachée est celle que le Christ a souffert à cause de l’incompréhension. Une passion, sans aucun doute, très amère et torturante, car elle ne lui a pas été infligée par ceux qui le haïssaient, mais par ceux qui présumaient être ses partisans. Cette passion continue visiblement aujourd’hui causée par des théologiens, des religieux, des évêques…
On peut imaginer sa désolation, lorsqu’il découvre que les foules en liesse le prennent pour un leader politique. On imagine sa tristesse lorsqu’il découvre que le jeune riche, qui prétend vouloir le suivre, n’est pas disposé à se séparer de ses biens. On peut imaginer son désarroi lorsque la mère des Zébédée (Jacques et Jean), aspire à des médailles et des cadeaux pour ses enfants, c’est-à-dire aux premières places dans son Royaume. Nous imaginons son découragement chaque fois qu’Il pose une question pointue à ses disciples et obtient en retour une réponse politiquement correcte ou grossière. On pense à son agacement lorsqu’il découvre que les femmes qui le complimentent (« Heureux le ventre qui t’a porté et les seins qui t’ont élevé ») négligent sa prédication.
Enfin, on peut imaginer sa colère chaque fois que les disciples tentaient de le séparer de sa mission et l’invitaient à fuir la crucifixion (cette colère a été consignée dans certains passages des évangiles : « Passe derrière moi, Satan », dit Jésus à Pierre peu de temps après qu’il l’ait confessé Messie et Fils de Dieu. Aussi, il n’est pas difficile d’imaginer aujourd’hui sa passion lorsque ses disciples se concentrent sur des reformes d’organisation si éloignées de son dessein d’abreuver les âmes assoiffées de vie en abondance.
Il est vrai que dans cette passion cachée nous ne trouvons pas de flagellation, de couronne d’épines, de vinaigre, de clous ou d’autres instruments de torture typiques de la passion canonique de Jésus. Mais nous trouvons un abîme d’incompréhension, de fausses représentations volontaires ou intéressées, de réductionnismes « tradi » ou « progressiste » et une dévalorisation de sa doctrine selon l’air du temps, qui n’est pas moins douloureuse, et martyrise Son âme jusqu’à la lie !
Surtout, une telle douleur est causée par l’incompréhension de ses amis qui, tout en l’encourageant, tentent de manipuler ou de réduire le sens de ses propos, afin qu’ils accommodent malicieusement leurs propres intérêts. Ils soutiennent une lutte de rites sans entrer dans la contemplation de la Source Cachée dont les rites sont l’instrument. Ils affadissent l’élan de l’Esprit en réduisant l’avenir à un club de fonctionnaires !
Un chemin de croix qui tenterait de résumer les épisodes de cette passion cachée du Christ aurait bien plus de quinze stations. Il inspirerait des méditations très savoureuses en nous apprenant tant il y a deux mille ans qu’aujourd’hui, que ceux qui nous célèbrent et nous applaudissent ne sont pas toujours ceux qui nous comprennent le mieux. Nul n’est prophète dans son pays …
Paco Esplugues