Le droit au suicide assisté est la dernière redoute du libéralisme intellectuel : « Qui sont ces rétrogrades qui, avec leurs considérations métaphysiques et leurs superstitions religieuses, tentent de violer notre droit sacré à la liberté de mourir quand on le veut ? » Tel semblait être le cri militant d’un groupe de pression qui a violemment assisté au débat sur « la fin de vie » en mairie d’Avignon lundi dernier !
Le royaume du « Soi » mène à la mort revendiquée comme un droit. En grande partie parce que l’instinct de vivre, "naturellement inscrit dans le cœur de l’homme", a été progressivement érodé par la résignation continue de la raison fabriquée par l’esprit des "Lumières", jusqu’à atteindre dans les derniers "acquis sociaux de nos démocraties" le droit à l’avortement et le droit au suicide assisté. Ces concitoyens semblaient dire « Nous avons presque atteint que l’avortement est un droit, inscrit dans la Constitution, (pas seulement une liberté), et le suicide assisté une exigence absolue pour nous libérer de la manipulation religieuse ! »
A leur réaction on pouvait même se demander pourquoi l’intelligence libérale ait si tard accédé dans nos sociétés à la conscience et à l’accomplissement de ces derniers « droits à supprimer la personne », quand elle dérange ?
L’un des spectacles les plus horribles auxquels l’homme contemporain puisse assister est l’effondrement général de la raison. On le perçoit dans le débat (ou l’absence de débat, plutôt) sur l’euthanasie, où des incultes disposant d’un forum médiatique ou politique ont établi que toute personne qui s’élève contre ce prétendu « droit » doit être pointée du doigt, car elle est contre le « droit humain ». liberté". Il est étonnant que de telles absurdités puissent être clamées fièrement sans que personne n’ose s’en plaindre, par peur de l’anathème. Personne n’osait lundi dire un mot sur le fondement de ce droit à la Mairie.
Face à cet état des faits, il convient de noter que le concept de « liberté » n’est pas univoque, même si les ignorants le revendiquent. Il y a une liberté aristotélicienne qui nous aide à discerner moralement dans la recherche de la vérité ; et il y a une liberté dégradée qui permet à l’homme de se débarrasser de tout ce qui le limite et le gêne, exaltant les passions les plus maladroites et les ambitions les plus égoïstes, au nom d’une individualité souveraine, autonome, indépendante de tout sauf d’elle-même.
C’est cette deuxième conception dégradée de la liberté qui est habituellement évoquée dans le débat sur l’euthanasie ; mais ceux qui l’élèvent le détruisent en encourant une aporie insurmontable. Pour le démontrer, nous recourrons à l’autorité des auteurs de la tradition libérale, afin qu’il ne soit pas dit que nous soyons influencés par la « superstition religieuse ». John Stuart Mill a écrit dans On Liberty que « le principe de liberté ne peut pas exiger que l’on puisse être libre de ne pas être libre ». En effet, à moins d’avoir décidé d’embrasser l’irrationalité, nous devrons reconnaître (peu importe combien nous défendrons la conception la plus dégradée de la liberté) qu’aucun principe ne peut servir de fondement à sa destruction. Et, en prenant nos vies, nous détruisons la liberté que nous défendons.
En effet, c’est une propension humaine naturelle à vouloir préserver l’existence, une hypothèse ontologique pour l’exercice de la liberté humaine. Ainsi vouloir mourir deviendrait un acte contraire à la liberté humaine ; ou, en tout cas, le fruit d’une liberté tarée, une liberté obscurcie par une souffrance physique ou morale, ou par la peur de la subir : douleur atroce, décadence douloureuse, solitude, abandon, voire la simple conscience de devenir une nuisance pour les autres, le reste. Ce ne serait pas une expression de la « liberté humaine », mais un manque de liberté, voire une liberté contrainte, diminuée et occultée (dans certains cas, voire une liberté manipulée par des intérêts extérieurs louches, par exemple d’un descendant désireux d’hériter, ou d’un État qui souhaite réduire ses dépenses de santé).
Dans la présentation très nuancée des médecins qui ont présenté le problème à La Mairie, il a été souligné que lorsque les soins palliatifs s’accompagnaient de relations humaines pleines de sens, même les patients qui avaient prononcé le droit de mourir en décidaient autrement. La personne retrouvait ainsi la raison qui la poussait à vivre. Bien souvent, le suicide assisté apparaît à la suite d’un désir induit par des proches ou par des médecins qui ne supportent pas leur échec et leur impuissance. L’euthanasie comme induction à « ne pas déranger » l’autre ou l’État peut-elle être qualifiée de « liberté individuelle ultime » ?
"Celui qui a un ’pourquoi’ vivre peut supporter n’importe quel ’comment’", affirmait Nietzsche. Et, certainement, il y a des « comment » très affligeants ; mais cette affliction est directement proportionnelle au manque de « pourquoi » pour préserver la vie. Et ces « pourquoi » qui donnent un sens à nos vies ne sont pas des fantasmes, mais des réalités substantielles et distinctes de nous-mêmes. Des réalités qui nous appartiennent et auxquelles nous pouvons appartenir, car nous ne sommes pas des êtres souverains et autonomes, mais dépendants et liés. Et ces liens et dépendances sont ce qui nous rend vraiment libres et éclaire notre raison de nous maintenir en vie. La conduite éthique consiste à restaurer ces « pourquoi » que les patients ont perdus ; accepter leur absence, pour combler ensuite le vide en administrant la mort, est une euthanasie de la raison.
PACO ESPLUGUES