La prise de conscience de l’urgence écologique nous entraîne vers de grands progrès, mais aussi vers des systèmes de pensée qui questionnent en profondeur la place laissée à l’homme dans la création.
Les nombreux débats qui agitent nos sociétés post-modernes touchent toujours, de près comme de loin, à la dignité humaine. Cette dignité que précisément, on ne comprend plus. Pourquoi est-elle spécifiquement humaine, universelle et surtout, inconditionnelle ? La comprendre c’est le premier pas, essentiel, pour la défendre et travailler à relier la dignité, source de droits, à la fraternité, source de reconnaissance mutuelle et de devoirs. Car « oui », la dignité nous appelle, dans toute existence et en toute notre existence.
Tandis que le débat public et les médias sont occupés en permanence par le problème de la pandémie, à l’Assemblée Nationale et au Sénat les élus sont en train d’approuver l’allongement du délai légal de recours à l’IVG. Les débats autour du projet de Loi sur la PMA, et de l’IMG sans limite déboucheront sur un vote favorable comme toujours à la faveur d’heures tardives dans la nuit et avec des alibis fallacieux et l’évocation de raisons thérapeutiques. A l’horizon se profilent aussi la question de l’eugénisme et dans un autre volet celle de l’euthanasie. En réalité, il ne pouvait pas en être autrement : à une époque désarmée moralement, la science s’érige ici en l’instance suprême et indiscutable. « Tout ce qu’on sait faire on peut le faire » est devenu l’axiome qui préside et détermine les orientations et décrets en toute circonstance.
Cette mythification de la science, comme force de salut n’a pas eu de problème pour mépriser la dignité humaine ; c’est ainsi qu’elle est arrivée à accepter la possibilité exécrable de « fabriquer des vies », de se servir d’elles comme matériel d’expérimentation pour ensuite les détruire. En profitant de l’ingénuité ou la désespérance de beaucoup de gens qui se laissent entrainer vers des solutions erronées. La publicité officielle justifie la perversité du clonage thérapeutique, en annonçant qu’elle permettra de guérir des maladies aujourd’hui incurables.
Et dans cette perspective, émerge l’alibi qui utilise la souffrance d’autrui, pour convertir la vie humaine en produit de laboratoire. On détruit allègrement des embryons – ignominieusement appelés « amas de cellules » - pour en extraire des cellules ou des tissus, comme s’il s’agissait de fournisseurs de pièces soldées de remplacement.
Nous ne serions jamais arrivés à ces extrêmes de misère éthique si au préalable ne s’était imposée une considération simplement fonctionnelle de la vie. Et une vision quantitative ou conditionnelle de la dignité. Nous traitons nos semblables comme des choses dont nous pouvons disposer et en extraire toute utilité y compris les plus viles. Si ce dégradant utilitarisme s’est installé dans notre vie quotidienne, comment peut-il nous surprendre que dans une instance législative s’établisse la possibilité de déclarer « quelques embryons », comme des vies dont on peut nier l’existence, sans transcendance ? Des vies qui n’auraient d’utilité que celle qu’elle apporte à la recherche médicale.
Au préalable, sans doute, la singularité spécifique de chaque vie humaine fut niée ; et en disparaissant, cette caractéristique qui lui donne valeur et qui la rend insubstituable, la vie humaine devient dépouillée de sa dignité. Il est de bon ton d’affirmer spontanément mais stupidement dans le climat culturel actuel qu’un embryon n’a pas de personnalité ou de condition humaine. A la suite de Benoit XVI, nous devrions en revanche affirmer que cette condition est inscrite dans les gènes, elle est déjà latente. La personne a déjà commencé sa gestation pour se réaliser pleinement en un stade futur. Et parce que la condition humaine est déjà présente en ce petit noyau de cellules, totalement organisées et avec un principe de vie unique, capable de réagir pour configurer la personne unique qui est déjà là, nous n’avons pas le droit de traiter l’embryon comme s’il était une chose. Nous n’avons pas le droit de le posséder, de l’utiliser, et de le détruire. Dans son apparente insignifiance se condense toute la puissance d’une vie future, déjà commencée, aussi pleine que la nôtre.
Ces derniers temps, c’est le concept même de dignité humaine qui est en train de s’éroder par des considérations purement subjectivistes. Un exemple est le concept de « mort digne », qui nous oblige à mieux définir le concept de dignité. Comme le dit Martin Steffens, passer d’un point de vue éclairé avec la question que « L’homme en face de moi a une dignité ? » à ce qu’il appelle une révolution copernicienne : une vision réciproque et relationnelle, avec les questions : « Quelles sont les exigences en moi pour voir, et être gardien en l’autre de sa dignité ? Serai-je digne de mon humanité si je la lui refuse à l’autre ? ». Simone Weil avait déjà vu le problème lorsqu’elle écrit au moment même où se préparait la déclaration universelle des droits de l’homme, un « prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain ». Selon la réponse qu’on donne à « ce qui fonde la dignité », la mort « digne » ne peut pas justifier la suppression de la vie. Cette vision relationnelle des devoirs envers la dignité de l’autre, nous renvoie à la vision judéo-chrétienne. La relation du Dieu Unique qui est gardien de notre dignité, nous place dans l’absolu qui échappe aux « dignités » conditionnelles. La société sans Dieu plonge continuellement en visions fonctionnelles de la dignité. Et cela ne sera jamais sans conséquences.
Ne nous leurrons pas, une conception purement utilitaire de la vie et de la dignité, nous coûtera cher au bout du compte et la facture sera lourde. En niant les deux concepts le plus élémentaires sur lesquels se fonde la dignité humaine, nous sommes en train de fabriquer des dégâts irréparables. Sans doute notre société peut arguer des raisons à prétention altruiste pour justifier ces attaques à la dignité humaine, mais les actions moralement erronées, même si elles peuvent paraître utiles au début, même si elles comptabiliseront des bénéfices immédiats mais à court-terme, elles finiront par nous mener inexorablement à la ruine. La dignité de la personne ne peut pas être impunément soumise à l’égoïsme de chacun, aux désirs de guérison de chacun, et moins encore à l’humanisme discrétionnel de l’Etat. La violation de la dignité humaine, nous le savons déjà, préfigure le totalitarisme. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici le rêve eugénique conçu par Hitler. Le clonage thérapeutique, sous son déguisement humanitaire, postule aussi, ne nous y trompons pas, un monde de superhommes où les faibles, les malades, et en général, toutes ses vies qui ne sont pas “utiles”, seront considérées en carence de valeur, et passer par pertes et profits. La gestion du Covid a laissé voir dans la gestion des EPADH plusieurs manifestations révélatrices de cette mentalité.
Ce temps de Carême devient pour les chrétiens un temps pour fonder notre vie dans la relation à Dieu. Cherchons Dieu comme l’Absolu. Seulement en Lui nous trouverons les raisons plus profondes de la responsabilité absolue envers la dignité de l’autre. Le dépassement des visions fonctionnelles. L’enjeu de notre Carême n’est pas seulement de faire un petit recentrage spirituel pour établir et poursuivre les mêmes priorités qu’avant. L’enjeu, c’est la création et l’établissement d’une écologie intégrale en nos vies et dans nos relations. Devenir de vrais gardiens de la vie et de la dignité de l’autre. Ne sera-t-il pas le lieu d’une conversion qu’unira le vrai rapport à Dieu et le vrai rapport à l’Autre ?
Bon Carême !