Cette belle expression qui remémore le « Il est né le Divin enfant », est l’affiche publicitaire des concerts de Noël des enfants dans la ville. Noël approche et « Avignon, ville de lumière », s’éclaire chaque nuit des mille lumignons « Led », en bravant la crise énergétique, et l’équinoxe d’hiver qui allonge les nuits ! Par la fête commerciale qui n’arrive pas à anesthésier la crise économique on essaye de s’évader du présent, pas forcément beau, avec un « Noël laïc ». Le pari n’est pas gagné même si quelque chose semble émerger lorsqu’ils « chanteront les divins enfants » des chants de Noël (cf programme de la Ville). Sauront-ils quelque chose de l’admirable échange qui se passe quand il naît le Divin Enfant ? Découvriront ils qu’ils deviennent ainsi des vrais « divins enfants ?
Chesterton disait qu’à Noël on célèbre un désordre de l’univers. Adorer Dieu signifiait jusqu’à Noël regarder un ciel sans fin qui nous ébranlait par son immensité ; A partir de Noël, adorer Dieu, c’est regarder dans une grotte sombre, constater la fragilité d’un enfant qui pleure dans une mangeoire. Les immenses mains qui avaient modelé l’univers deviennent soudain de minuscules mains qui tremblent dans le froid de la nuit et cherchent la chaleur de la poitrine de leur Mère.
Divinité et fragilité étaient jusqu’alors des concepts antithétiques ; mais Noël les oblige à se rejoindre, dans un étonnant oxymore qui ébranle nos certitudes et bouleverse complètement nos catégories mentales. Les hommes, qui depuis la nuit des temps s’étaient agenouillés devant la fureur écrasante des éléments, décidèrent soudain de s’agenouiller devant un nouveau-né, beaucoup plus petit et impuissant qu’eux, puisqu’il ne pouvait même pas accoucher dans une auberge. Devant un orage ou une pluie d’étoiles, on peut s’agenouiller de peur ; devant un enfant né dans une grotte, comme un hors-la-loi, sans patrie, on ne peut s’agenouiller qu’avec une pitié amoureuse et émue.
Mais cet oxymore que nous célébrons à Noël heurte immédiatement notre crédulité. Dans quelle tête un Dieu jusque-là invisible et incorporel, tout-puissant et glorieux, peut-il prendre l’apparence (et pas seulement l’apparence, mais aussi le corps et l’âme) d’un enfant ? Une telle chose ne pouvait arriver qu’à un Dieu complètement fou ; car il n’y a pas de folie plus achevée que la folie d’amour. Lorsque Dieu a assumé la fragilité de la nature humaine, une nouvelle ère de l’Humanité a été inaugurée, qui pouvait désormais mieux comprendre le sens sacré de la compassion ; puisque, à partir du moment où Dieu était devenu fragile comme nous, il était plus facile d’embrasser la fragilité du prochain, nous rendant aussi complètement fous (de fait, la charité a toujours paru une forme de folie insupportable à ceux qui ne comprennent pas). Y a-t-il de plus fou que voir « divin » dans le frère, juste dans sa fragilité ?
C’est pourquoi Noël peut être considéré comme une fête de fous couronnée de succès ; et pour cette raison, quand la source première de cette folie fait défaut, elle devient une fête indécente, pure sentimentalité vide qui remue les tripes et ravage l’âme, peu importe combien on feint la joie et la gaieté. Eh bien, cela cesse d’être une vraie fête, pour devenir une histoire déguisée en gaieté, beuverie de nougat et vomissements nocturnes ; une orgie consumériste sordide, assaisonnée d’une dose d’humanitarisme de pacotille. Une culture sans culte que cherche des calmants. Ceux que l’homme contemporain a imaginés pour faire taire la contestation de sa nature : ils vont du consumérisme échevelé et boulimique à ce faux humanitarisme qui, dépouillé de son exigence première (la considération de l’autre comme un réceptacle sacré), pure effervescence, passant par la satisfaction maladroite des plaisirs primaires, purement physiologiques. Culture contre-nature
Beaucoup de gens ressentent, au milieu des réjouissances de Noël, une sorte de douleur sourde ou un sentiment d’amputation, qui s’identifie parfois à la nostalgie de l’innocence perdue ; mais en réalité c’est une conscience douloureuse que le sens originel de la fête leur a été ôté, et avec lui la possibilité d’un véritable bonheur. L’homme contemporain poursuit le bonheur comme s’il s’agissait d’une formule chimique ; mais cette recherche se solde généralement par un échec, puisque dans le meilleur des cas il obtient une sensation éphémère de bien-être, ou bien un placebo euphorisant, juste un antalgique qui le distrait pendant quelques jours de la douleur sourde qui le tourmente.
Et cette douleur (qui apparaît tantôt comme ennui ou fatigue de vivre, tantôt comme indolence et brûlures d’estomac, tantôt comme désespoir et angoisse) est la conséquence directe d’une amputation. Il n’y a pas de bonheur sans une pleine acceptation de notre nature, qui inclut une vocation divine ; et une telle vocation ne peut être extirpée sans porter gravement atteinte à notre propre nature. L’homme contemporain, en reniant sa vocation religieuse, est devenu amputé et donc malheureux ; et, comme le manchot qui, les jours qui annoncent l’orage, ressent une douleur fantomatique dans son bras arraché, l’homme contemporain ressent plus que jamais cette amputation aux dates de Noël.
« Enlevez le surnaturel et vous ne trouverez pas le naturel, mais le contre-nature », nous enseigne Chesterton. Enlevez à Noël son cataclysme sacré, ce désordre de l’univers dont nous parlions plus haut, et vous ne trouverez pas la vraie fête, mais plutôt sa parodie grotesque et contre nature : consumérisme boulimique, humanitarisme bon marché, satisfaction maladroite des plaisirs premiers ; courir, en somme, d’un coq dont la tête a été arrachée et qui bat désespérément des ailes, tandis qu’il saigne et meurt. Un « Noël laïc », qui exprime en fait ce malheur que l’homme contemporain vit comme une amputation et tente d’apaiser par des euphories morphiniques.
Eh bien, Noël, c’est avant tout la fête à travers laquelle l’homme reconnaît la présence de Dieu dans l’aventure humaine et, par conséquent, la dimension transcendante de sa propre vie. Quand Dieu naît, quelque chose de bon et de nouveau naît en chaque homme, dans l’essence de son Je. En s’appropriant cet ingrédient divin, l’homme se sent plus complet et satisfait de lui-même ; et de cette conformation jaillit, comme une irradiation qui ne décline pas sa flamme, le vrai bonheur. Ainsi ils pourront vraiment chanter « les divins enfants » ! Dans une culture qui « touchant Dieu » dans sa chair, pourra aussi accueillir l’autre en sa plus profonde et « divine » dignité ! Que ce Noël religieux et fraternel, soit source de vraie joie, pour tous !
Paco Esplugues