En ces temps de pessimisme social évident, je voudrais offrir les réflexions d’un croyant sur les éléments fondamentaux que la foi offre pour discerner notre réalité et pour redécouvrir les chemins qui permettent de construire le lien social. En fait, la fragilité actuelle n’est pas due au hasard mais fabriquée. Et malheureusement, l’Eglise, non seulement n’a pas su réagir mais souvent s’est convertie en maillon de la chaîne.
Les dénommées « politiques de la diversité » qui sont défendues avec tant d’ardeur par la politique actuelle, ne sont qu’un artifice du néolibéralisme pour fragmenter l’identité du peuple : Si chacun est une spécificité, alors il ne peut pas y avoir un « nous ». Le postmodernisme est le climat culturel qui a favorisé cette façon de penser : « Sans horizon vers lequel on se dirige, sans passé dont on peut apprendre ; sans possibilité d’affirmer ce qui est vrai ou faux, sans espace pour des concepts valides universels », le néocapitalisme a pu réaliser plus facilement une série de transformations économiques –désindustrialisation, délocalisation, externalisation, etc.– qui ont favorisé l’atomisation du monde du travail. Beaucoup de gilets jaunes réagissent entre autres à cela.
Sur la base d’une conception “moderne” du travail, on promeut, par exemple, des « entrepreneurs indépendants » qui distribuent des pizzas à domicile, en scooter, sollicités par une appli de téléphone portable. Et comme les perspectives entrepreneuriales de ce livreur sont en réalité assez médiocres, on canalise son insatisfaction vers des revendications qui font qu’il se sent « différent » ,lui permettant de fuir son maigre horizon de travail. Avec une intelligence vraiment rusée (perverse), on peut injecter à ces entrepreneurs indépendants, une « identité d’aspiration » qui pourrait faire qu’il se sentent orgueilleux d’être, par exemple, animaliste, de classe moyenne, antithèse du travailleur classique patriarcal, footballeur, de basse classe.
Ainsi avec ces politiques dites progressistes, le néocapitalisme a obtenu de convertir la classe ouvrière en un archipel de « consommateurs de singularités », les options sexuelles et les identités de genre occupant une place privilégiée, (seules options qu’on ne qualifie pas de crispation identitaire). Il ne s’agit pas d’affirmer que ces groupes ne doivent pas jouir de leurs droits civils, mais il faut être conscient que l’exaltation de la diversité est la meilleure caution pour les gouvernements soumis à la globalisation. Ils peuvent ainsi faire mine de progressistes face aux médias.
Il ne faut pas oublier non plus que ces politiques de la diversité sont très dopées économiquement par des organismes publics et privés ; l’ardeur des politiciens à défendre ces politiques est directement proportionnelle à la quantité d’argent que ces organismes (ou lobbies) investissent .Ce que les médias nomment politiciens populistes bénéficient souvent de cette fragilisation sans répondre vraiment aux enjeux de fond.
Cet « air du temps » a aussi pénétré les églises, asservies au besoin d’apparaître tolérantes dans cette exaltation de la diversité, alors qu’en réalité elles détruisent la richesse de leur tradition vivante, vrai fondement de la personne qui se découvrirait elle-même, et se construirait dans la plénitude de ses talents. Dans l’abandon de ce vrai fondement de la personne, celle-ci perd l’intelligence de la plénitude du Corps ("nous") qui l’accueille et lui permet de développer sa fécondité.
Le langage est tellement déformé, qu’on assimile tradition à carcan, quand en réalité démolir cette tradition atomise la personne en la rendant insignifiante et consommatrice « d’identités d’aspiration », tout en ayant perdu ou en ayant peur d’affirmer la richesse de la propre identité chrétienne. L’identité du croyant est la base de la vraie liberté. Sans un « nous » fondé sur la Vérité, et sur le Bien partagé, la liberté se réduit aux choix proposés par le marché.
Si au niveau social, l’idéologie de la diversité s’impose comme un piège, du fait qu’elle finit par être défendue par ceux qui en vont subir les conséquences, elle fait aussi des ravages au niveau ecclésial, puisqu’elle signe la disparition de ce qu’est l’Eglise , et de ce qu’elle peut apporter au monde ! Avec en prime, un mal supplémentaire, à savoir que ce qui semble, apparemment, la défense des particularités, est en réalité l’atomisation et la dissolution de la personne. Elle l’empêche de profiter de l’héritage que le Christ donne à chacun de nous, héritage qui nous permet d’être constructeurs de l’ensemble (bien commun) et membres vitaux (libres) de tout le Corps.
Pourquoi les générations nées de ce qu’on a appelé l’Esprit du Concile n’ont-elles pas su transmettre la foi à leurs enfants ? Justement parce que l’idéologie de l’individualisme et de la diversité (« Qui suis-je pour juger ? ») a évacué l’apport de la vraie tradition. Par le « politiquement correct » on a perdu le vrai fondement du sujet, son être profond. L’Incarnation nous montre au contraire la grandeur de l’homme qui est frère de l’Homme-Dieu. Sur ce fondement il peut émerger un dynamisme Unique (différent de tous les autres), car non réduit à des individualités, non restreint à un prêt à consommer religieux, dont le New Âge est l’exemple. Cette perte du vrai fondement est aussi très répandu dans le vécu existentiel de beaucoup de catholiques.
Pour que ce sujet Unique (« Ne crains pas, je suis ton Dieu, C’est moi qui t’ai choisi, appelé par ton nom. Tu as du prix à mes yeux et je t’aime. Ne crains pas car je suis avec toi » Isaïe43-4), membre de tout le Corps puisse rayonner dans sa grâce unique il faudrait qu’il puisse accueillir la tradition du Christ vivant et présent dans l’eucharistie, avec tout ce qu’elle comporte dont les dogmes comme balises de Vérité et vivant et présent dans l’autre, pour ne pas évacuer en route le cadeau que Dieu nous a offert, Héritage qu’il nous donne comme socle de nos vies en même temps qu’une éthique du sujet qui, bien accueillie dans la raison, permet que la conscience ne reste pas prisonnière du subjectivisme, en faisant émerger le vrai « Je » (Vérité et Amour). Ce vrai « Je » qui se manifeste quand la personne sait accueillir le Nous ecclésial. Cela se traduit dans la pratique communautaire à comprendre à quel point nous sommes responsables du Corps entier (ecclésial) et par conséquent social.
Que cette nouvelle année nous permette d’orienter nos horizons et nos pratiques dans cette tradition du Christ qui, partagée dans le nous ecclésial, nous fasse des témoins qui grandissent, et qui éclairent les pièges de « l’air du temps », en, offrant à nos contemporains déboussolés des rayons de lumière sur l’aliénation du système et des voies praticables pour s’en sortir.
Bonne nouvelle année !
P. Paco Esplugues