« Temps de l’Avent : la réaction d’un cœur pensant ».
Un cœur pensant est plus qu’un cœur simplement aimant, c’est un amour en veille, en alarme, en actions constantes. Un amour dénué de sensiblerie, qui fait front à la réalité dans toute sa sauvagerie, brave le mal avec ténacité, pugnacité. Un cœur pensant ne se défausse d’aucun effort et surtout pas de celui consistant à penser l’impensable, l’inadmissible, le révoltant par excellence : la mise au supplice, physique et morale, des innocents. Un cœur pensant c’est un cœur qui se porte au secours de la raison battue en brèche par le cynisme du mal, bafouée et frappée d’impuissance par le scandale de la souffrance. C’est un esprit qui refuse de déclarer forfait face à l’absurdité, à la hideur, et à la cruauté triomphantes, et qui tache de surmonter la nausée infligée à la raison par l’abîme qui l’entoure. Un cœur pensant : alliance vitale qui peut permettre d’échapper à la double tentation de la désespérance et de la haine vengeresse ».
ETTY HILLESUM
Les événements de ces jours nous ont tous fait réagir ! En effet, qui peut rester impassible lorsqu’on tue sans raison les enfants de notre pays ? Lorsqu’on menace le lien social en provoquant les clivages les plus violents entre voisins dans nos villes ? Mais quelles réactions peuvent être au niveau de tels enjeux ? La riposte militaire est-elle nécessaire ? Sûrement. Mais se contenter de voir qu’on a bombardé la Syrie et qu’on a tué des terroristes est-ce vraiment une réponse à la hauteur du problème ?
Est-il bon de remplir les bistros de nos villes en bravant la peur pour défendre notre style of live ? Sûrement. La peur que les terroristes veuillent provoquer gratuitement pour faire sentir leur pouvoir d’anéantissement peut déclencher une réaction de courage collectif ! Il y a là un signe de dignité. Mais trouve-t-on encore cette dignité dans la réaction miroir du « qui domine qui » ? Est-ce suffisant ?
Est-il bon de dépasser l’angélisme idéologique pour entrer dans l’éveil d’un pays qui « se prend en main » parce qu’il se rend compte que le slogan de la tolérance ne mène nulle part ? Sûrement. Mais cette "prise en main" est-elle vraiment intelligente et féconde ? Et, d’ailleurs, que signifie exactement "se prendre en main" ?
Se rend-on vraiment compte que la violence « au nom de Dieu », demande une prise au sérieux, au niveau social, du discernement rationnel de ce qu’est le « vrai rapport à Dieu » et de ce que sont les mirages subjectifs d’auto valorisation « au nom de Dieu » ? Au lieu de nier que le rapport à Dieu est une dimension essentielle du vivre ensemble (ce que nie le laïcisme malade de la France) il faudrait pouvoir parler de Dieu dans l’espace public. Comment peut-on éduquer à la vraie laïcité, si l’on s’interdit de parler sereinement des rapports à Dieu, qui construisent les personnes et la société ?
Nier Dieu en brandissant comme un slogan que la violence vient du monothéisme, n’est-ce pas une riposte déficiente qui renonce à utiliser la raison avec laquelle on pourrait former des religieux musulmans, chrétiens, ou juifs intelligemment constructeurs du lien social ? Pourquoi évacuer la possibilité d’avoir des instruments de formation rationnelle des générations des banlieues, afin qu’elles soient fières de leur appartenance et de leur foi, tout en participant à la construction du pays ? (A Ratisbonne Benoît XVI visait précisément cela).
Est-ce que chez les chrétiens la réaction qui tiendrait compte de cette perspective, celle d’un « cœur intelligent » (Etty Hillesum), peut être pleinement assumée par les pasteurs, et par les baptisés ?
Qui offrira, face à « l’aveuglement collectif de la laïcité en déni du religieux », l’opportunité aux couches musulmanes de nos quartiers urbains de trouver et un espace favorable à leur religion et une appartenance sociale constructrice du plus profond d’eux-mêmes ? Y aurait-il des chrétiens ou des démocrates simplement intelligents pour favoriser cela ?
Évidemment cela suppose des citoyens et des chrétiens qui croient que l’on peut chercher ce qui est vrai ensemble. Donc qu’une vérité peut être trouvée, ensemble, entre les hommes, dans les rapports à Dieu. Cela implique la conscience d’une nature humaine et des rapports au divin qui puissent être posés en une recherche communicable. Sans dépasser le relativisme profondément pessimiste concernant la recherche de la vérité, pourra-t-on trouver des bases mûres de vrai dialogue ?
Réagir suppose un "cœur intelligent" qui dépasse la sensiblerie. L’école de l’Avent et de Noël avec l’attente et l’accomplissement de l’Incarnation de Celui qui est « la lumière qui illumine tout homme venant dans ce monde » n’est-elle pas cette année un appel à la prendre au sérieux plus profondément que jamais ? Y aurait-il dans notre pays des minorités créatives, qui, comme le minuscule noyau de la famille de Nazareth, seront capables de réagir et de répondre assez courageusement aux enjeux de notre pays au-delà de l’épidermique, ou de l’aveuglement à continuer as usually ?
L’année de la miséricorde avec le passage de la Porte Sainte, la fête de l’Immaculée (qui ouvre le chemin à l’"Eglise en marche") et les 50 ans de la clôture du concile Vatican II (avec la pleine conscience du « sujet Eglise » qui sait faire siennes les gaudium et les angors de notre siècle) sont autant d’événements de ce mois de décembre. Puissions-nous les vivre dans toute leur profondeur, en puisant aux sources du saint Sacrement —maintenant dans la nouvelle chapelle de l’Adoration (à l’Oratoire)— la lumière et l’énergie pour une réaction à la hauteur des enjeux, et cela avec la rapidité que la situation réclame !
Prions
P. Paco Esplugues, curé