Jamais dans les sociétés occidentales un degré aussi unanime de rejet de la violence n’a été atteint comme à notre époque : la guerre est anathématisée, le consensus est postulé comme mode de compréhension, l’humanitaire et la solidarité sont idolâtrés... Et pourtant, la presse est à peine capable de décrire l’avalanche de violences familiales qui choque de nos jours : femmes battues et assassinées, maltraitance d’enfants, personnes âgées traitées avec mépris et cruauté... Que se passe-t-il pour que de telles pulsions violentes soient devenues monnaie courante ? Le consensus est prôné aussi entre les religions, ou entre les ethnies. C’est la clé du « village global », mais la violence n’arrête pas de grandir. Pourquoi ?
Quasiment personne ne prête attention, lorsqu’il s’agit de combattre ce fléau, à une cause profonde : la rupture et la banalisation des liens sociaux produites par l’obscurcissement de ce qui est sacré en moi et dans l’autre. La création de liens entre les êtres humains génère des relations de respect et de compréhension mutuelle qui nous poussent à regarder l’autre avec une affection nouvelle dans laquelle il y a quelque chose de sublime et de mystérieux, de « divin » : nous découvrons ainsi une nouvelle grandeur chez cet autre, et cette découverte nous donne le désir d’y participer. L’humain enraciné en Dieu divinise les relations !
Ces liens que les êtres humains établissent entre eux génèrent la compréhension ; et le principe de toute compréhension réside dans le fait que l’un accorde à l’autre ce qu’il est : qu’il reconnaisse l’être profond, qu’il aime ses qualités, qu’il cesse de le considérer avec les yeux de l’égoïsme. Ce désir de compréhension génère des engagements forts : nous ne le considérons plus comme un corps étranger qui est utilisé et jeté, mais comme une personne avec un dispositif vital fécond dont nous souhaitons participer et apprendre. Ce désir de savoir nous oblige à nous détacher de nous-mêmes, nous oblige à nous abandonner à l’autre, nous oblige à participer à sa dignité, sa liberté, sa noblesse.
Notre société, tellement hyper civilisée, est aussi une société désengagée. Les engagements forts ont laissé la place à des relations « cool », fragiles et éphémères, dans lesquelles l’autre devient vite un obstacle à la réalisation de nos désirs, voire un ennemi déclaré. Et les formes de communion humaine qui créaient des liens de compréhension mutuelle, d’affection et de solidarité sincères, sont harcelées et banalisées, dans le sillage des idéologies destructrices du « genre », du « wok », de la rivalité religieuse, de l’affirmation de soi-même, de la diabolisation de l’autre.
Lorsque les affections, enracinées dans la prière qui rend possible l’amour authentique, patient et compréhensif, sont dénigrées jusqu’au ridicule, lorsque les engagements qui en découlent deviennent superflus, cassants et éphémères, il est naturel que la violence surgisse. On commencera à parler sérieusement de maltraitance, lorsqu’on osera souligner le lien qui existe entre cette plaie et la destruction des liens fondés sur la relation ouverte à Dieu ? Lorsque de tels engagements sont forts, l’amour est une offrande ; et l’être aimé devient une vraie patrie : une terre cultivée et soignée. Lorsque de tels engagements sont affaiblis, l’amour se transforme en cupidité et en annexion ; l’être aimé devient une triste colonie : une terre pillée, pour être ensuite abandonnée. Le différent de moi en ethnie ou en religion devient le bouc émissaire de mes problèmes !
Au lieu de faire de la femme une patrie authentique, à travers une anthropologie fondée sur le dévouement et le sacrifice, notre société tente de faire des hommes et des femmes des colonisateurs odieux, toujours aux antipodes les uns des autres, plus centrés sur leur ressenti sexuel que sur les soifs profondes de son semblable. Au lieu de lui reconnaître une part « de divin », notre « laïcité » tend à faire disparaître le « divin », dans des lois de consensus dépourvues de toute référence au sacré. Et après elle court, semblable à un canard sans tête, pour réparer ses abus. Elle doit créer des cellules policières pour faire disparaître les radicalités religieuses, après avoir empêché la dimension religieuse de grandir raisonnablement dans l’espace public de l’école. Le Code pénal fondé sur des consensus aveugles est condamné à être violé, là où l’anthropologie intégrale a été violée au préalable.