En ces jours, nous vivons avec l’idée de traquer le virus qu’on doit porter sur les pieds, sur les mains, sur les vêtements. On invente des stratégies pour le contrôler... pour dominer et vaincre son invisible ravage. Et finalement, on ne sait pas si on l’a contrôlé ou non. Trois jours plus tard, notre attention diminue, s’atténue notre vigilance. Nous ne savons d’ailleurs pas si ce virus s’est répandu ou pas dans la maison. On n’en voit les effets et les résultats que plus tard... !
Le monde invisible a des effets radicaux sur notre vie du corps. Et nos habitudes changent. Nous entrons dans la culture du confinement. Il semble que ça ne sera pas un événement ponctuel et nombreux sont les signes qui nous montrent que certaines réalités du confinement se sont invitées pour ne pas s’éclipser d’ici longtemps.
La mort de Jésus a changé tout pour les disciples. Triomphants une semaine avant, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, aujourd’hui ils se retirent dans un confinement volontaire par peur des agresseurs, qui leur en voulaient à mort. Et soudainement, de façon radicalement invisible, tout change. Confinés, ils deviennent libres. Un événement invisible donne des ailes à leurs âmes. Ils demeurent confinés mais l’invisible présence du Christ les transforme. Par moment Il se montre, mais le reste du temps Il est avec eux, même s’ils ne Le voient pas.
Cette présence a changé le monde. Les hommes sont devenus une création nouvelle. Après Pâques ils ne sont plus condamnés au non-sens, mais ils sont devenus Un avec le Christ. Même s’ils ne Le voient pas, Il habite leur intimité, la nôtre, car "ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ qui vit en nous". A condition d’ouvrir consciemment les « yeux du cœur ». Car pour ceux qui croient, des fleuves d’eau vive jaillissent de leur intérieur. « Voici que je fais neuves toutes les choses » dit le Seigneur. Vingt-et-unième siècles plus tard, cette nouveauté continue à se réaliser ? Peut-être que cette année, le Mystère pascal peut nous aider à mieux prendre la mesure de ce qu’il apporte à nos vies et à la société que nous formons. Cette Pâque confinée et en arrêt du cours « normal » des choses, est peut-être la plus belle opportunité pour saisir ce qu’est la Résurrection du Christ et décidément, la plus belle invitation à mieux suivre « les pas du Ressuscité ».
Avec sagesse, certains se demandent si on prendra la mesure de ce que le COVID 19 apporte à l’humanité. Le drame existe pour beaucoup de personnes et de familles, mais concomitamment, ce virus imperceptible pourrait nous faire du bien. Il a réussi à bloquer le train infernal de la démesure destructrice de notre culture productive/redit. De notre globalisation sans âme.
Certains pensent que ce peut-être l’incroyable opportunité (impossible avec les outils politiques qu’on avait) de reprendre les principes de fonctionnement de notre monde. D’autres n’attendent pas autre chose que de reprendre avec une plus grande intensité la folie mortifère dans laquelle nous étions. Les chrétiens en ce temps de Pâques, ne sommes-nous pas appelés à pénétrer le sens de ce que nous vivons ? Ne saurions-nous pas laisser le Christ configurer le monde avec son ferment nouveau ? Pouvons-nous vivre ces jours en attendant de reprendre à peu près comme avant le train d’un monde déchu ?
La nuit de Pâques, en clouant sur le cierge Pascal les clous brûlants des plaies du Christ, on chante que le Ressuscité est l’Alpha et l’Omega de toute l’histoire, et qu’Il vit en nous. N’est-ce pas Lui qui est au cœur des événements qui nous subissons ? N’est-ce pas Lui qui, en toute situation, nous ouvre à l’intelligence de l’Histoire, pour mieux accueillir les fondements d’une forme de vie dont le centre soit « nous aimer dans l’amour dont Ils s’aiment » ?
« Il ne s’est pas encore manifesté pleinement ce que nous sommes ». En ce temps, l’essentiel est invisible aux yeux, mais « nous savons que nous serons semblables à Lui, quand nous Le verrons tel qu’il est ». Le Ressuscité, ne nous invite-t-il pas à renaitre dans ce confinement ? A ne pas nous en tenir à une réforme centrée sur nous-mêmes, mais plutôt à construire des relations nouvelles jaillissant de la victoire pascale ?
Je vois dans ce temps de Pâques l’opportunité pour les chrétiens de sortir d’un christianisme individualiste. Il est temps de nous rendre responsables du Corps du Christ, et d’élargir notre vision à Sa manière de traiter tout homme.
Il nous faut, plus que jamais, une expérience de miséricorde. Miséricorde bouleversante, transformante et non anesthésiante. Une confession de nos failles et de nos désagrégations intérieures, nous permettant d’accueillir les reliefs personnels de Celui qui nous habite. Il configurera nos vies à la Sienne, et nos relations aux Siennes. Et nous fera prendre avec Lui la mesure du temps.
Vivons en témoins du Ressuscité ! Touchons ses blessures à la suite de l’apôtre saint Thomas et mettons-nous dès maintenant à labourer pour construire le vrai village global, qui n’est que le Corps du Christ. Personne ne peut nous en empêcher car si nous vivons notre confinement « cachés avec le Christ en Dieu », nous deviendrons des véritables artisans de la civilisation de l’Amour.
Père Paco Esplugues, curé