Le lendemain de la fête de la Toussaint, l’Eglise consacre un jour à la commémoration des fidèles défunts.
A cette occasion nous vous offrons une brève réflexion sur la question de la mort, à laquelle nous ne voudrions pas donner une réponse trop rapide.
« Que la vie était quelque chose de sérieux, on s’en rendra compte plus tard. Vieillir est le seul argument de l’aujourd’hui » -dit un poète espagnol.
Aucun de nous ne sait ce qui va lui arriver demain, même pas dans une heure. Que vais-je devenir ? Travaillerai-je en tant qu’ingénier ? Infirmier ? Chauffeur de taxi ? Me marierai-je ? Ne me marierai-je pas ? Aurai-je des enfants ? Vivrai-je à Toulouse ? Ou à Madrid ? Nous n’en savons pas grande chose. Nous pouvons, nous devons même, avoir un projet dans la vie mais nous ne pouvons pas être complètement sûrs de que cela arrivera. Ce que nous savons de manière certaine c’est qu’un jour nous allons mourir. Tous les êtres meurent, mais il y a une différence fondamentale entre les hommes et les autres êtres : ils le savent. La mort est ainsi une réalité qui se présente aux yeux de chacun avec une force incroyable. Et non pas seulement la propre mort, mais surtout celle des êtres qu’on aime.
La principale différence entre un hominidé et un pré-hominidé est précisément le culte rendu aux morts. Les premiers hominidés célébraient déjà un certain culte, parce que la mort s’est présentée depuis l’origine de la vie humaine comme quelque chose qui doit être comprise, interprétée. Elle est une réalité à laquelle l’homme ne peut pas se soustraire, la réalité la plus certaine de son avenir.
En face de cette réalité tout homme a besoin d’une réponse. Chaque culture, chaque civilisation donne la sienne. Que se passe t-il après la mort ? Est-elle la fin ou pas ? Quel sens a-t-elle ? Il y a t-il quelque chose après elle ? Plusieurs réponses apparaissent : la réincarnation, la dissolution dans le tout, l’idée d’une existence ultra-terrestre, etc. Toutes les civilisations donnent une certaine réponse de survie après la mort. Et même quand on nie l’existence d’une réalité spirituelle, comme les courants matérialistes, on exprime toujours le désir d’une vie au-delà de la mort (pensez au mausolée de Lénine ou aux obsèques de Michael Jackson…). On dirait que la nature de l’homme ne se conforme pas, ne se résigne pas à vieillir et à mourir. Et bien, et « si cette vie après la mort n’était qu’une chimère, un désir absurde… notre dernier combat devant la réalité de la fin de notre existence… ? »
En Europe l’espérance de vie est de 75 ans. Il y a 100 ans la mortalité des enfants était très élevée, mais aujourd’hui on n’y pense plus à la mort. Les hommes sont devenus "trop scientifiques" : « La mort est là et elle adviendra un jour c’est vrai..., mais surtout n’y pensons pas ». C’est ainsi que quand elle advient elle est une tragédie et on doit en trouver des coupables. En fait, il se trouve que l’on n’a plus d’outils pour donner une réponse à un tel absurde. Un exemple qui illustre cela est le fait que l’on ne veut plus voir les corps des défunts comme on le faisait auparavant. On essaie d’éloigner la mort de la vie quotidienne et la rendre le moins tragique possible : « Nous allons mourir. Qu’est-ce que l’on peut faire ? Rien… alors, pour l’instant nous pouvons vivre le plus tranquillement possible ».
Devant cela, nous pourrions nous écrier avec Camus : « Le suicide est la seule question réellement importante ». Si tu vas mourir et puisque la vie n’a aucun sens…, alors il faut en finir avec elle... Terrible ! On dira : « La vie n’a de sens que si elle est une vie « digne », « pleine », si tu es en pleine santé, si tu vis avec tout le confort, etc. ». Jean-Paul II s’est dans ce sens référé à la culture de mort. On dira à une mère : « Il est mieux que vous avortiez que de faire subir à votre enfant une vie malheureuse ». Il s’agit d’un suicide, un suicide social, puisqu’une société qui considère une vie humaine comme une menace, c’est une société qui se tue elle-même. Il existe encore un autre type de suicide, le suicide spirituel : vivre comme si nous n’allions pas mourir. Tout le monde sait pourtant que cette attitude ne répond pas aux soifs profondes qui traversent l’homme. On dit, par exemple : « J’ai 37 ans », mais en réalité on devrait dire : « J’ai 37 ans de moins ». Cela nous fait peur. Comme il nous fait peur d’aimer car les autres vont eux aussi partir. On ne veut plus aimer, plus créer de liens, et on finit par fuir toute souffrance. Et voilà ainsi qu’une multitude de personnes vivent complètement isolées, sans liens, par peur d’éprouver la souffrance que comporte le fait d’aimer ou de se laisser aimer (sans parler de la souffrance de ne pas aimer…).
La question sur la mort nous renvoie à la question sur la vie : « Qu’est-ce que la vie ? ». La liturgie dit : « La vie de ceux qui croient en toi ne finit pas. Elle est transformée et quand notre demeure terrestre disparaîtra, nous acquerrons une demeure dans le ciel » (cf. Rituel de funérailles). Nous n’avons pas été crées pour mourir, mais pour vivre. Dieu nous a crées chacun de nous pour la vie. Il ne nous a pas crées pour la mort. La mort vient du péché. Et celui-ci est la négation de notre propre essence, qui est d’être image de Dieu (cf. Gn 1, 26). La mort n’est pas le propre de l’homme ; elle n’était pas dans le projet originel de Dieu. C’est la raison pour laquelle nous la rejetons. Elle est la conséquence du péché qui est la négation de Dieu et puisque Dieu est Amour, le péché est tout ce qui s’oppose à l’Amour.
Jésus dit : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde » (Mt 25, 34). Dieu nous a donné l’être et Il nous a crées pour le Royaume. Dieu veut que l’homme soit. Il nous a donné l’être parce qu’Il l’a voulu et depuis le commencement, il a préparé pour chacun de nous le Royaume. Jésus poursuit en expliquant pourquoi ceux-là recevront le Royaume : « Car j’ai eu faim et tu m’as donné à manger ; j’ai eu soif et tu m’as donné à boire ; j’étais un étranger et tu m’as recueilli ; nu, et tu m’as vêtu ; malade, et tu m’as visité ; en prison, et tu es venu à moi » (Mt 25, 35). Celui qui a aimé, celui qui s’est offert entièrement, celui-là peut recevoir le Royaume préparé par Dieu depuis la fondation du monde pour lui.
Aimer c’est l’acte suprême de la liberté humaine. Celle-ci nous constitue puisque sans elle, nous ne pouvons pas être ce que nous sommes : "image de Dieu". Et cette amour ne trouve sa source qu’en Dieu seul, même quand on l’ignore. Le poète espagnol Luis Rosales décrit ainsi la présence mystérieuse de Dieu dans le dynamisme de l’amour humain : « Quand
nous verrons Dieu nous saurons que nous l’avons toujours connu. Il a
soutenu moment après moment, de dedans, toutes nos expériences d’amour.
Tout ce qui était en elles amour pur, c’était déjà plus à Lui qu’à nous ». En même temps, comme José Ortega y Gasset l’écrit dans ses méditations sur le Quixote : « Aimer signifie mener ce que l’on aime à la plénitude de son être ». Nous engager avec notre volonté à mener à la plénitude ceux que nous aimons. C’est ainsi que l’amour est la seule chose qui transcende la mort. « De la foi, l’espérance et l’amour la plus grande c’est l’amour » (1Co 13, 13) – dit Saint Paul, car seul l’amour demeurera pour toujours. Dans ce sens-là. Un amour qui s’enracine plus dans la volonté que dans les sentiments, puisque dire « amour » c’est dire : « Je veux », « je veux te servir, t’aimer, te visiter, te consoler, t’accompagner… ». Disons avec Maurice Blondel : « Je veux. Je veux. Que toute ma vie réponde et définisse : Je veux. Je veux vouloir avec Dieu, ce que Dieu veut… Devant Dieu, je serai un instrument, pour que, par surcroît, aux yeux humains, je sois quelqu’un. Je veux, je veux aujourd’hui, pour dire demain : Nous voulons, pour dire en mourant : Il veut ». Voilà ce qui demeure pour toujours. Voilà ce qui vainc la mort et peut donner du sens à l’existence humaine.
Isabel Velasco Zamarreño
Source Bulletin-info n. 5 (1.11.09)
Notes en vue d’intervention orale