Réflexions sur la PMA
Docteur Masquin, neuro-psiquiatre (source : paroisse Villeneuve-les-Avignon)
Pour la première fois en droit français, si la loi est votée, il y aura dissociation radicale entre les fondements biologiques et juridiques de la filiation d’origine, en prévoyant une unique ou double filiation maternelle, alors que jusqu’à présent, la filiation repose en effet sur un fondement biologique : la mère est celle qui accouche, et le père est celui qui reconnaît l’enfant.
Dans le cas d’un couple de femmes homosexuelles, le mode de filiation établi juridiquement permettrait de considérer l’enfant comme fils ou fille de deux « mères », sans distinction, entre la femme qui a accouché de l’enfant, ce qui est la règle actuelle, et l’autre femme qui n’a pas porté l’enfant. Madame Belloubet, ministre de la Justice, a précisé que ce serait bien deux mères qui seraient portées sur l’état civil. […]
Les enfants nés d’un don, après l’entrée en vigueur de la loi, pourront accéder, à leur majorité, à des « données non-identifiantes » du donneur, voire à son identité si le donneur est d’accord. […]
On peut se demander s’il n’y a pas là quelque chose de paradoxal : d’un côté, la loi permettra d’effacer la lignée paternelle avec l’établissement d’une filiation exclusivement maternelle, rendant effective l’absence du père, et de l’autre côté cette possible fin de l’anonymat permettant à l’enfant la possibilité d’accéder, à sa majorité seulement, à des informations sur son géniteur biologique. Mais entre sa naissance et sa majorité, le vide paternel dans la lignée et une absence à ses côtés. […]
Dans un entretien, donné à une chaîne d’information le 26-04-2019, Madame Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, déclarait : « Autant la PMA pour toutes ne pose pas de question éthique car elle donne simplement un peu plus de liberté à chacun sans nuire à personne, autant la GPA pose la question de la marchandisation du corps humain. La PMA ne pose pas de question éthique fondamentale. ». « Sans nuire à personne ». La phrase est claire et affirmative et appelle une double réflexion : qu’on m’explique en quoi priver un enfant d’un père n’est pas un problème éthique et ne crée pas une souffrance et par ailleurs, il s’agit de savoir si l’enfant est encore considéré comme une personne puisque « la PMA ne nuit à personne ».
Il est vrai que dans un avis du 22 mai 1984, le CCNE, Comité Consultatif National d’Ethique, a indiqué que l’embryon ou le fœtus doit être reconnu comme « personne humaine potentielle ».
L’enfant à venir, personne ne va lui demander son avis et pour cause. Cependant, en matière de procréation assistée, on ne peut pas se contenter de prendre en compte le seul désir ou la volonté des adultes et négliger l’intérêt des enfants à naître. On a parfois parlé de l’intérêt supérieur de l’enfant : est-ce vraiment son intérêt qu’il n’ait plus dans son histoire de père identifié, ni biologique, ni social et qu’il ait seulement le droit de demander à sa majorité révolue d’obtenir auprès de la commission ad hoc les informations qu’aura laissées le donneur au moment du don ? […]
L’élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées revient à décréter l’existence d’enfants sans pères, enfants ayant uniquement la filiation maternelle. Privation institutionnalisée de par la loi, consciente, délibérée et ce, dès la conception de l’enfant, l’absence du père, l’effacement de la lignée paternelle, hormis les éléments laissés par le donneur accessibles à leur majorité. Jusqu’ à ce moment ces enfants n’auront, si la « PMA pour toutes » est autorisée, aucune image de père mais seulement celle d’un donneur. Ni plus ni moins, nous allons créer des orphelins de père. […]
Et ce, alors même que depuis une cinquantaine d’années le monde « psy » insiste toujours davantage sur l’importance du couple parental et sa complémentarité dans la différence et ce, à tous les moments de la vie de l’enfant et de l’adolescent. « Est-il pensable que l’on puisse considérer qu’un enfant n’a pas besoin de père ? », s’est interrogé Monseigneur Aupetit qui ajoutait : « En libéralisant la PMA, nous sommes en train de créer des souffrances futures » des « souffrances prévisibles » pour les enfants, et au-delà, un affaiblissement plus général de la place du père dans la société. Et c’est peut-être bien cela qui est recherché. […]
On va créer une nouvelle inégalité cette fois-ci au niveau des enfants. Les psychiatres connaissent tous des patients qui ont eu à faire ce travail de construction alors que la vie les avait confrontés à ces blessures.
On n’entend rarement parler de cet intérêt supérieur de l’enfant. Et pourtant, il doit être une « une considération primordiale » selon la Convention internationale des droits de l’enfant (ONU, 20 novembre 1989) dans l’article 3 alors que l’article 7 précise que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a, dès celle-ci, le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. » Ce qui souligne l’importance de la double lignée généalogique maternelle et paternelle, sur le plan, psychique et symbolique, dans la construction de soi. […]
Alors qu’en est-il ? Que prendra-t-on en compte ? Les demandes, voire les exigences, de certains adultes ou bien l’intérêt de l’enfant ? Ce n’est pas d’abord le désir des parents potentiels que doit protéger le droit mais bien le besoin des enfants. Le premier droit d’un enfant n’est-il pas de savoir d’où il vient et qui sont son père et sa mère ? Mais on nous dira que ceci est complétement dépassé et qu’il faut être de son temps.
Que dire de toutes les dispositions de ce projet de loi ?
Si certaines permettront des avancées scientifiques et des innovations thérapeutiques, d’autres comme les recherches sur l’embryon, les manipulations du génome, « l’enfant modifié génétiquement » soulèvent de très graves problèmes éthiques. La loi saura-t-elle fixer des limites et surtout l’homme ne pas les franchir ? Car à chaque révision de la loi, les barrières sautent pour l’adapter « au rythme des avancées rapides des sciences et des techniques », nous dit-on.
L’extension de la PMA pour toutes les femmes est une véritable rupture anthropologique : c’est la conception même de l’être humain, à tous les sens du mot, qui est bouleversée. La différence des sexes, qui avec la différence des générations est le roc de la société, est réduite au gamète.
L’homme est confronté aujourd’hui au mythe de la toute-puissance, à la fascination de la maîtrise : s’affranchir des lois de la nature et effacer les différences au nom de l’égalité et de la solidarité. Ces tentations ont probablement animé l’homme à chaque époque de progrès scientifiques. Ce qui est nouveau, c’est cette exigence adressée à la société de répondre aux désirs individuels. On ne fait pas une loi pour cela, du fait qu’elle engage toute la société et qu’il est nécessaire de penser collectif.
La loi nous engage tous et nous avons donc le droit et le devoir de nous exprimer.
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Aude Mirkovic, avocat
Le projet de loi visant à légaliser la PMA pour les couples de femmes ou pour les femmes seules va être débattu à l’Assemblée. Les débats ont à peine commencé en commission qu’on voit déjà poindre certains problèmes, notamment l’identification des deux parents en tant que mère 1 et mère 2.
La GPA pose des difficultés spécifiques. On commande à une mère porteuse un enfant qu’elle s’engage à livrer à la naissance. On ne rencontre pas ces difficultés avec la PMA proprement dite, même s’il y a des points communs.
En théorie, le fait de légaliser la PMA n’oblige pas à légaliser la GPA. En pratique et d’un point de vue politique, à partir du moment où on accorde à deux femmes le droit de réaliser leur projet d’enfant, y compris si cela suppose de méconnaître les droits de l’enfant, on voit mal refuser à deux hommes de réaliser leur projet d’enfant sous prétexte que cela méconnaîtrait les droits d’autrui.
En réalité, les deux sont bel et bien liés d’un point de vue politique. Ce n’est pas un hasard si la PMA annoncée pour les femmes relance à nouveau la question de la GPA.
Le premier débat en commission concernant la PMA révèle énormément de divergences au sein de la majorité. Globalement, toute la majorité est favorable à la PMA pour les couples de femmes. En revanche, c’est plus compliqué pour les PMA de femmes seules. Comment expliquer cette incohérence ?
Le gouvernement tâtonne. On essaie d’encadrer l’incohérence. Ce n’est pas simple.
La question de la PMA pour les femmes seules est une aberration dans la mesure où la situation de parents isolés est objectivement problématique. Elle ouvre droit à des allocations spécifiques. Comment la loi pourrait-elle raisonnablement envisager de créer de toutes pièces ces situations-là ?
C’est un élément qui pourrait permettre d’ouvrir les yeux. Ces tâtonnements et ces modifications apportées dès le stade de la commission sont très encourageants. Cela montre bien que ce texte n’est pas figé. Il y a de la place pour la discussion. Il est encore temps pour chacun des citoyens que nous sommes de s’exprimer. Une manifestation est annoncée le 6 octobre. Ce n’est pas la seule façon de s’exprimer. Chacun peut écrire à son député, appeler les radios et parler autour de lui. Tout cela est encore ouvert.