Dimanche 15 février

20 février 2015

P. Paco Esplugues.
Dimanche 15 Février 2015.

Lectures :

  • Lecture du livre des Lévites.
  • Psaume 31.
  • 2e lecture : Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens.
  • Evangile : Lc 7, 16.

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Ce début de l’Evangile de St Marc nous donne un peu le concentré de ce que le christianisme veut apporter, aujourd’hui encore, à notre société, à nos vies personnelles et à nos rapports avec nos frères et sœurs du monde. Puisqu’en fait, si à l’époque d’Israël il était évident qu’une maladie incurable, une lèpre, avait une relation avec l’âme ou avec le rapport à Dieu, ou que l’inclusion ou l’exclusion sociale avaient quelque chose à faire avec Dieu, ce qui se passait à cette époque-là n’est pas devenu archaïque.

Encore aujourd’hui, lorsque nous sommes frappés par une maladie grave, confrontés à un ennui de santé que nous n’attendions pas, la première chose que nous disons est « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? ». Quand des événements fâcheux se produisent dans notre vie sociale, professionnelle, ou dans nos relations, quand de vraies catastrophes se passent, la première réaction est toujours « Qu’ai-je fait pour cela ? » Instinctivement dans nos cœurs d’hommes et de femmes -même si les cartésiens disent que c’est sans fondement-, instinctivement, la phrase qui nous vient est : « Qu’ai-je fait pour mériter cet événement ? »

Et c’est cette réalité que le Seigneur vient toucher dans l’évangile que nous venons de proclamer. Il n’est pas un Dieu ailleurs, il est un Dieu qui vit avec nous ces événements de la vie que nous ne savons pas très bien comment gérer, pour leur donner un sens totalement différent.
Déjà, pour nous libérer, et pour éveiller dans notre cœur une dimension de la vie qui ne soit pas menacée par les circonstances extérieures.

Mais il fait beaucoup plus que ça : à la fin de sa rencontre avec le lépreux Jésus lui dit qu’il est guéri, et qu’il a donc le droit d’entrer dans la communauté d’Israël, qu’il n’est plus impur, mais il ajoute une phrase qui est le fil conducteur des lectures d’aujourd’hui : en effet il ne lui dit pas seulement « sois guéri », mais « va et présente toi au Temple pour rendre grâce à Dieu ». Alors dans une première évidence on pourrait se dire que c’est normal : puisqu’il a reçu un cadeau, remercier est faire preuve d’un minimum de politesse. Mais je crois que cela n’a rien à voir avec ce que le Seigneur lui a demandé. En fait le lépreux n’a rien compris, puisque Jésus lui a dit de ne rien dire à personne et d’aller au Temple, et qu’il commence par raconter ce qui lui est arrivé à tout le monde, sans même qu’on sache s’il a fini par aller au Temple ! Mais le Seigneur ne lui demande pas d’être poli. Il lui demande une chose beaucoup plus profonde. Dans cette invitation à aller au Temple et à faire l’offrande, Il est en train de lui dévoiler le sens le plus profond de sa guérison. Parce qu’être guéris de nos maladies, être ré-inclus dans la communauté des hommes, sont des événements qui ne peuvent aboutir pleinement que lorsque nos cœurs entrent dans la véritable dimension pour laquelle ils sont faits ; à l’époque de Jésus comme aujourd’hui.

Les cœurs fermés sur eux-mêmes, les cœurs un peu trop individualistes, ne réussiront jamais à découvrir dans la vie toutes les merveilles de ce cœur provident qui nous accompagne en permanence. Y a-t-il un cœur qui veille sur mon cœur ? Y a-t-il un amour qui s’occupe de ma cause en toutes circonstances dans ce que je vis ? Quand les choses se passent bien ou mal y a-t-il quelqu’un qui prend sur lui mes problèmes pour les faire siens et accompagner ma vie ? Selon le catéchisme, la réponse est oui, sans l’ombre d’un doute. Mais l’intelligence ne suffit pas. Et l’unique façon d’apprendre à notre cœur qu’un autre cœur veille sur lui est l’action de grâce.

Le plus grand bénéficiaire de l’action de grâce c’est nous-même, parce que nous apprenons à notre cœur le mystère d’un cœur qui est toujours là, alors que sans l’action de grâce nous ne le reconnaissons pas, nous ne nous éveillons pas à cet amour, nous ne sommes pas soutenus par cet amour, nous ne percevons pas qu’il y a Quelqu’un qui en accompagnant notre vie nous fait vivre tous les événements autrement.

Justement, dans la deuxième lecture, St Paul nous dit : en toute occasion rendez grâce. Lors des repas, dans le travail, dans les bons moments, dans les circonstances fâcheuses de la vie. Y a-t-il un cœur qui accompagne tout ce que nous vivons ? Oui, et quand nous ouvrons notre cœur à le reconnaître, il se passe le grand miracle dont St Paul se fait écho dans cette lecture, puisque ce n’est pas par hasard que la messe, en grec puis dans la tradition de l’église a été appelée « eucharistie », c’est-à-dire action de grâces. C’est à l’école de l’action de grâces que nos cœurs commencent à s’ouvrir, que nous ne sommes plus centrés sur nous-même, et que nous commençons à découvrir que notre vie n’est pas solitaire ni menacée sans cesse. Qu’il y a quelqu’un qui accompagne notre vie et notre mort. Lorsque nous apprenons à rendre grâce pour la vie et la mort toutes entières, nous entrons dans une dimension qui donne sens à tout ce que nous vivons dans le quotidien. Voilà pourquoi St Paul, dans l’art de vivre le christianisme, fait dériver de l‘action de grâces permanente un deuxième élément très bon, très synthétique, mais qui dit aussi la force sociale du christianisme. Puisqu’il dit qu’en étant dans l’action de grâces en permanence - Thérèse de l’Enfant Jésus disait aussi « tout est grâce »-, en découvrant un cœur qui accompagne notre vie, alors nous pouvons décentrer de nous-même et commencer à faire nôtres les réalités des hommes et des femmes qui sont autour de nous.

Dans son message de Carême, qui est vraiment révolutionnaire et corrosif, le pape François dit : « où est –on frère ? », et tout le sens de ce message est « suis-je fraternel avec celui qui est à côté de moi et a des problèmes ? » Et c’est très intéressant, parce que ce sens de la fraternité ne peut jamais se vivre comme une loi imposée. Quand je le reçois comme une loi, je décide de ne plus vivre le message et d’aller boire un peu de whisky pour me calmer. Mais quand je le reçois dans ce cœur qui s’habitue à l’action de grâce, je commence à reconnaître que l’autre même est un cadeau de Dieu et que m’occuper un peu de lui et sortir de moi-même est un bien que je me fais. Il n’y a qu’à l’école de l’action de grâce que les choses se passent comme ça ! Et je peux dire pour avoir été missionnaire en Afrique et en Amérique latine pendant longtemps, que quand nous revenions de mission les gens nous disaient inévitablement « Que c’est énorme ce que vous venez de faire ! Quel sens du sacrifice ! Moi je n’y arriverais jamais ». Pourtant toutes les personnes qui ont fait ce chemin reviennent en disant « c’est le plus grand cadeau que Dieu ait pu me faire ». Toutes disaient cela. Pas juste une, qui aurait dit cela parce qu’elle aurait été un peu spéciale : toutes ! Car chaque fois que nous sortons de nous-mêmes nous sommes les premiers bénéficiaires, puisque nous transformons un cœur toujours menacé en cœur qui s’élargit et qui découvre le bonheur et les bienfaits de la vie, dans ses événements quotidiens.

Ensuite St Paul dit : « Soyez mes imitateurs » : car le christianisme ne se réduit pas à une série de règles qu’il faudrait assimiler, même pas celle de l’amour fraternel, le christianisme c’est cette intégration du cœur qui jaillit dans l’action de grâce et qui permet que progressivement notre vie soit totalement intégrée. « Merci seigneur, disait Etty Hillesum dans son langage à elle, parce que quand je prends la vie toute entière même avec la mort qui arrive, je trouve mon cœur totalement unifié. » Ce mystère nous avons le droit de le toucher. Car guérir seulement nos petits problèmes c’est très peu par rapport à tout ce que le Seigneur veut nous donner, et que le lépreux de l’Evangile n’a pas très bien compris. Le Seigneur lui a dit de se taire non pas parce qu’il ne voulait pas qu’il évangélise –évangéliser est le travail qu’Il nous demande de faire-, mais parce que seulement en étant guéri on n’est pas encore en train de déployer ce que l’Evangile veut manifester aux hommes, qui est l’art de vivre, avec un Seigneur qui lorsqu’on lui offre librement notre vie par amour nous investit de telle façon de Son amour que notre vie a la saveur de l’eucharistie, la saveur de la communion, la saveur des cœurs qui ne sont pas rétrécis mais qui sont libres pour aimer.

Demandons à Jésus aujourd’hui, dans l’action de grâce, de nous unir à ce cœur qui sort de lui-même, pour que nous puissions Lui offrir le meilleur de nous-même, et qui du coup nous serons capables de nous offrir mutuellement les trésors qui sont en nous.

Amen.